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Photo du rédacteurCASADO Vincent

Metronomie

Dernière mise à jour : 26 août



Metronomie


Ligne 13


Ce matin l’air n’est pas froid, pas chaud non plus. Je rejoins la station de métro. La fatigue colle mes pas. D’autres passants convergent vers cette station sans se presser, comme tous les matins. Il est huit heure moins neufs minutes, je suis dans les temps. L’un d’entre eux s’arrête fouille ses poches, sort un paquet de cigarette, en tire une et l’allume. La braise scintille à chaque bouffée. Une pause parmi d’autres avant le voyage. Derrière le cendrier, une pile de journaux et à côté, le même homme que la veille, la mine basse m’en tend un. Cette fois-ci je le prends. Il me salue. Cela ne fait que quelques jours qu’il remplace le précédent, mais ils finissent tous par arrêter de répondre. Ils parlent au début, ensuite il ne font que hocher la tête, puis ils finissent par se taire. Je ne les ai jamais vu durer plus de trois mois, peut-être quatre. Je ne leur en veux pas. Si j'étais à leur place.

Je gravis les marches de béton gris. Cette station est triste. La moitié des marches, je fouille mon caban à la recherche de mon portefeuille. Les portiques se rapprochent, je m’active. Je déteste être bloqué devant le tourniquet, c’est inconfortable. Plus que quelques pas, je mets la main dessus. Je le sors et le pose à l’emplacement prévu. Un bruit sonore, un claquement, je pousse la porte de la main, et remets rapidement mon portefeuille à sa place. On ne sait jamais.


L’escalier mécanique vrombit, c’est insupportable. Mais c’est moins exigeant que l’escalier. Je me laisse porter tranquillement, je suis fatigué. L’alarme de fermeture des portes résonne, je me presse. Je monte les marches deux à deux. La rame d’en face repart, je me suis pressé pour rien. Sur le quai moins d’une dizaine de voyageurs. Je m’éloigne vers le fond. Il y aura plus à marcher en descendant, mais je suis pratiquement sûr de trouver une place. Le wagon de tête est toujours presque vide à cette heure. Je regarde le panneau de signalisation, trois minutes. C’est peu, mais c’est trop long lorsqu’on attend. D’ici je peux voir le ciel, il refoule la nuit. Je regarde le quai d’en face, il est vide. Dégoulinante sur le mur, une affiche de publicité, dessus des gens heureux. Ils sont dans un parc d’attraction. Moi je vais au boulot, mais je ne suis pas malheureux. Je m’ennuie. J’irais là-bas cet été, ou avant si j’ai le temps. Les rails grondent, je tourne la tête, mon métro arrive. Il est lent. J’avais raison, le wagon est presque vide. Il s’arrête, les portes légèrement décalées des marquages du sol. Je ai vu un train s’arrêter face aux marquages une fois. Le bruit d’un dégonflement pneumatique passe. Je pousse le bouton, les portes s’ouvrent. Un son froid, mais on finit par s’y faire. Je rentre. Trois personnes sont là. Je m’installe à l’opposée de la porte, le carré, dans le sens de la marche, contre la vitre. Pourquoi cet homme reste debout ? L’alarme retentit, la rame démarre.


De ce côté on ne voit que le béton rosâtre qui sert à fermer les voix de train aux curieux. Ça et là, du vandalisme bleu. C’est amusant cette manière de dégrader. Quand on regarde c’est laid. Mais effacer l’anonymat du béton. Sa laideur l’a fait unique. Enfin, il est loin derrière maintenant. A l’opposé la ville défile. Le soleil éclaire une dernière fois le sol étoilé de chewing-gums séchés puis laisse la place à la lumière pâle des néons alors que le wagon pénètre les boyaux de la métropole.


Je pose ma tête contre la vitre. Les lumières des veilleuses tranchent régulièrement la noirceur du tunnel. Les graffitis défilent. Je me perds à les contempler. Ils sont vraiment laids. Mais ils sont dehors. Je m’endors.


Station suivante,


Une pression sur mon dos, de plus en plus forte, la rame ralentit. Je rouvre les yeux. C’est une sensation étrange. Les voyageurs sont poussés vers l’avant progressivement, pendant une éternité, et d’une secousse ramenés vers l’arrière. Lorsque le ralentissement est trop brusque certains trébuchent. Pas cette fois. L’homme debout sort, d’autres entrent. Je les regarde. Je ramène mon sac vers moi et repose ma main sur la fermeture. Ils sont plus nombreux. Une dame s’approche. Elle s’installe à ma droite. Je ne comprendrais jamais les gens qui s’installent là alors que le siège à la diagonale est vide. Je veux dire, c’est une histoire d’espace, de confort. Je prends mon sac sur mes genoux. Remuant sur son siège, elle réduit encore la distance qui nous sépare. Je suis pressé entre la vitre et cette femme. Changer de place serait impoli. Et bouger est épuisant. Elle me sourit pour me remercier. Je souris en retour, enfin, ma bouche sourit. Je regarde à travers la glace, peu de gens sur le quai et une affiche pour aller visiter un désert au Maroc, un grand espace vide. Rêver ailleurs. Je suis confiné. Cette fenêtre c’est ma porte de sortie. Je m’enfuie de ce wagon. Même bruit infernal, les portes se ferment, la rame démarre.


Je ferme les yeux. Je ne peux pas poser ma tête contre la vitre, la dame me gène. Je ne peux plus dormir. Je lui en veux. Je n’arrive pas à garder les yeux fermés. Je regarde les voyageurs. Quelques casques audio, des fils blancs et des fils noirs. Cette fille debout à côté de la porte lit un livre. Je n’arrive pas à voir la couverture. Une barre de métal bloque ma vue. J’avance mon visage, la Disparition. J’aime bien ce livre. Je contemple la couverture. Elle me remarque, je suis gêné. Je fais semblant d’interroger la liste des stations qu’il me reste. Je jette un regard, j’aime bien ce livre. Ses yeux insistent. Je repars de l’autre côté de la vitre. Même défilement, même lumières. Je sors mon téléphone, huit heure trois, je suis dans les temps. Ici on ne capte pas, et j’ai fini tous les jeux. Demain, je prendrais un livre.


Station suivante,


Je m’abandonne à la sensation du ralentissement. Je flotte pendant cette éternité. C’est presque agréable. La secousse me rappelle. Les portes s’ouvrent. Des descentes, des montées. La fille reste là, je suis toujours un peu gêné. Elle m’ignore, plongée dans sa lecture. Je n’insiste pas. L’espace se remplit peu à peu. Un homme s’installe en face de moi. Je recule mes jambes. Il me dit merci. Je ne souris pas, pas cette fois. Un autre, plus âgé se pose à sa gauche. Ils remuent. La dame soupire. Ils se regardent. Elle lui sourit. Il ne dit rien, il sort son téléphone.


Toutes les places assises sont prises. Des airs contrariés se dessinent sur les derniers arrivants. A partir de cette stations, il y a toujours quelqu’un debout. Les mains se crispent sur les barres, les pieds s’évitent avec adresse. La fille et le livre disparaissent derrière un jean délavé, déchiré, laissant voir un caleçon vert pomme rayé de bleu. Un couple, se serre contre les portes opposées à l’entrée. Ils ne parlent pas. Il est trop tôt. Malgré le maquillage, on devine des cernes. On devine toujours les cernes quand on prend le temps de regarder. Les gens n’aiment pas qu’on les regarde. La femme se presse dans ses bras et son visage disparaît dans la fourrure, certainement fausse, du manteau. Je m’échappe par la vitre. Amusant, pas d’affiche. A la place un béton gris et sale, couvert de déchirure, encadré de fioritures dorées, usées. Le béton est vide. Un métro arrive en face. Du vert, du blanc, des lumières, des formes défilent. J’ai mal au crâne. Je ferme les yeux. Même alarme agressive. Je presse mes paupières, j’ai mal. Je suis délicatement poussé sur le fond de mon siège par le départ. Le bruit s’estompe, je rouvre les yeux, j’ai mal.


La lumière des néons est devenue plus coupante. Je fronce les sourcils. Le reflet de l’homme en face est sévère. Je ne te regarde pas, je suis dehors. Il n’apprécie pas. Je l’ignore, j’ai mal. Il bouge légèrement la tête sur la droite. Il ne comprend pas que je ne me préoccupe pas de lui, de la place qu’il prend avec ses jambes, de son odeur encombrante de déodorant, ou du reste de café qui tâche la manche sa veste. Je passe la main sur mon visage et replonge dans le noir de la vitre. Son reflet est toujours là, grave. Je plisse les yeux. Ses yeux oscillent de droite à gauche. Il essaie de capturer les lumières sans se préoccuper de mon air contrarié. Je me sens bête. Son odeur est moins encombrante, et sa tâche de café s'efface. Mais pourquoi regarde-t-il par la vitre ? Ce train, quel ennui. Mon mal se disperse.


Station suivante,


Je ne fais plus attention au ralentissement. Le bruit de pneumatique est devenu appréciable. Il prévient la fin du vrombissement continu de la rame. Un strapontin se libère, deux personnes sortent. Je n’arrive pas à voir combien montent. Certainement plus que deux. Près des portes ouvertes on doit se lever pour ne pas gêner. Le civisme. Un homme ne se redresse pas, d’autres voyageurs entrent. Il finit par céder. Même sans voir son visage, je devine l’agacement. Ses gestes restent calme. Il n’a pas le choix. Je me sens privilégié. Cette place assise, ma chance d’habiter près d’un début de ligne. Je savoure un peu ma honte. J’aperçois une homme à l’âge avancé. Sous une gavroche, usé, des rides, des plis, une courte moustache blanche et un rasage impeccable. Je distingue une veste vieillie et une canne. Il parcourt du regard les gens assis. Je ne suis pas le seul à l’avoir vu, mes voisins aussi. Personne ne bouge. J’ai honte. J’aime cette place. Je regarde la liste des stations, il y a un hôpital sur la ligne. Peut-être s’y rend-t-il. Même alarme, départ.


Le vieil homme tient sans flancher. La fireté s’appuie sur sa canne et tient la barre de fer. Il se rétablit. Il ne dit rien. Il regarde la vitre. Mes voisins baissent les yeux. Je les hais. Je fais signe au vieil homme, il ne me voit pas. Un autre, toujours pas. Une femme à son côté lui tapote l’épaule. Il la regarde, surpris. Elle me pointe du doigt. Je lui refais un signe, il accepte de prendre ma place. Je prends mon sac et m’extrais, cognant les genoux de mes voisins. La femme soupire, je lui souris. Elle ne sourit pas. Le vieil homme s’installe, il me remercie d’un signe de tête. Je croise quelques regards approbateurs. Mes anciens voisins baissent les yeux. Je les hais. Mais je me sens meilleur. Je leur pardonne. Je suis debout, je ne peux plus sortir par la vitre. Je ferme les yeux. J’attends.


La rame ralentie brusquement. Je suis déporté vers l’avant, je me tiens à la barre, le poids de mon sac m’emporte. J’aurai dû le poser par terre. Je glisse vers la dame. Je vois la peur dans ses yeux. Je glisse. J’essaie de me rattraper sans la toucher. Peine perdu, je heurte sa cuisse de ma jambe. Le train s’arrête, je suis rejeté dans l’autre sens. Elle me fixe férocement. Je m’excuse. Elle ne dit rien. Ce n’est pas ma faute. Je lui demande si ça va. Elle ne répond pas. L’homme contre la vitre observe, amusé. Une voix grésillante remplit le wagon : « Nous patientons pour régulation du trafic sur la ligne, ne tentez pas l’ouverture des portes, merci. » Serrés, les voyageurs se réajustent. Ils n’ont pas l’air de vouloir sortir. On ne sait jamais. Un homme d’âge mûr tente une blague acide, personne ne rit. J’esquisse un sourire. Le silence remplace la voix. Une minute passe, les respirations s’énervent. Deux minutes passent, les regards gênés se croisent sous la lumière artificielle. Le couple commence à discuter à voix basse. De leur conversation, j’arrive à saisir un ou deux mots, injurieux. Un jeune homme, veste en cuir, la mèche blonde rajuste son sac en bandoulière. Sans le vouloir, il pousse légèrement le dos de son voisin. Brun sous sa casquette, plus âgé, je peux voir son front se plisser et un pli apparaitre. Trois minutes passent, le bruit des respirations est percé de long soupirs. L’odeur de déodorant revient m’assaillir me forçant à plisser le nez. Chaque seconde est une chance de voir un voyageur bouger et déranger ceux qui l’entourent. Une tension monte, un sentiment désagréable qui mélange le dérangement potentiel que l’on peut provoquer à celui qu’on peut subir. Les hauts-parleurs crachent sur des voyageurs qui tendent l’oreille : « Notre train va repartir dans quelques instants, merci de bien vouloir patienter. » Tous sont impatients. Pourtant personne n’essaie de sortir. Je vois la jeune fille au livre. Elle a une bague très fine à l’index, quelques griffures sur le dos de la main. Elle ne bouge pas, elle n’est pas inconfortablement installée, adossée à un strapontin elle a hissé l’ouvrage à la hauteur de son menton, coincé entre une aisselle et une poitrine. Cette situation ne semble pas la déranger. Demain je prendrai un livre. Lentement, le train repart. Je regarde mes chaussures. Les secondes passent.


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