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Photo du rédacteurCASADO Vincent

Chronique de l'Arkenstar - Partie 2


Le semi-réveil


Les trompettes résonnèrent dans le val. Les bannières au gryphon se déployèrent sur les tours. Le soleil perça l'épaisse couche nuageuse. Petit à petit cette masse sombre reflua. Dans les maisons chaque drap blanc était retiré et la poussière chassée.

L'intendant toqua à la porte. Sans réponse, il entra. Le seigneur-Gryphon était là, debout face à la fenêtre ouverte.

"- Avez-vous vu les nouvelles ? Le val se réveille !

- Toute possibilité de gestion du marché est enfin écartée. Nous allons considérer ce qu'il peut être fait !

- Encore plus de maisons !

- Surtout des maisons ! Appelez les architech il y a forte planification à faire ! Fouettez les bûcherons et les fondeurs, les charbonniers et les taillandiers ! Attisez les flammes des forges. Réveillons la Gueule."


Huit-heure


L'effervescence remuait au milieu du cachet des allées. Bardées de banières tradition qui ne se pavoisaient que pour les banales occasions, les rues se renforçaient de cris en cris, de marchants, d'ordres et de jeunesse. A cette heure collante de la pré-journée, l'huile de lin était d'étals en étaux de foule. Le fruit et le légume s'insultaient et le poisson et la viande dégoulinants l'un et l'autre. Le purrin des champs soufflait avec une candeur si tolérable qu'il en devenait authentique. Et marchait avec joie au milieu de ce verre de vie crépitante Maah'Ur, l'Arkenstar.


La soldatesque immuable, débordait par l'activité des manoeuvres le bouvier, le charretier et aussi le paysan et le laboureur. Ils se percutaient d'allées en croisement sous les invectives d'une tentative de circulation. Et la boue et le lisier venaient mâcher les bottes, les roues et la patience. Ce n'était pas un hasard si les rues étaient carrés. Le fantôme d'un quadraturge turbanophile hantait ces architectures. Les nuages étaient venus observer le spectacle. Vous même d'ailleurs n'y seriez pas resté insensible si la tendance à marcher le nez en l'air ne coûtait la salissure ou si le froid humide du Bordlô ne transperçait les âmes et la bonne humeur.


Venu après ses perditions à la salle de son travail où s'écharpaient en convenances ses conseillers amovibles le Maah' tenait au creux de sa paume une pomme qui ne lui disait rien. Il s'en delesta près d'une tour et déplaça le cavalier. La moustache presqu'arrogante du capitaine de sa garde tressauta en cherchant la parade. Le paradeux seigneur avança vers son trésorier qui lui ouvrit des bras scandaleusement porcins. L'accolade ne vint pas et Ur se contenta de dévisager la bombance bijoutière du prévôt. Deux et trois anneaux annonçaient, outre des mystifications livresques, une excellente gestion des biens de la seigneurie. La main du fonctionnaire avait la facheuse tendance à s'appuyer sur l'avant bras de son interlocuteur appuyant les démarches en intrigues. Le Maah' trancha les décisions et d'une frappe vigoureuse à l'épaule laissa son interlocuteur ravi. Le polémarque se joint à la marche du seigneur sur les quelques mètres qui le séparait du balcon et justifia les manoeuvres et les besoins. Il s'amusèrent de cette idée à renommer les lieux par des fonctions inutiles et inexcusables quand la ville s'ouvrit sous leurs yeux.

Maah'Ur, l'Arkenstar embrassa le paysage. Le bec d'un griffon lignage claquait au vent. Et le ciel s'embrasa de l'aube.


La tour rousse


Le vieillard était enfermé dans la tour depuis plus de quatre-vingt-dix-sept ans. Là, reclu, il cherchait. Il cherchait le mot juste. Celui qui résumerait tous les autres. Assemblés dans le creux de sa tour s'empilaient en escaliers et contreforts des manuscrits du monde entier. Et tous il les avait lus. Et toutes leurs langues il les avait apprises. Il avait rédigé cent-vingt-sept fois sa hauteur de papier. Dressant la liste exhaustive des mots les alliants, les comparants, les ajoutant, les defigurant, triturant leurs entrailles sur des générations, des héritages et des reniements des mots de l'humanité. Aux trois quart de sa vie il avait réalisé non sans mal la genèse du panglosse. Et depuis il ne cessait de réduire, de synthétiser, d'essensialiser, d'expurger l'intimité de chacun d'eux.

[...]

Agapée.

Isométrie.

Enluminure...

[...]

À

Y

[...]


Et la liste des mots se vidaient. Et plus ils se vidaient plus chacun de ceux qui restaient prenaient de sens.

Alors ce soir là, face aux reliquats de ses travaux, le vieillard raya le dernier de ses mots.

Le silence restant illumina la pièce de toutes les pensées qui fusaient. Et, alors qu'il se muait sans mot dans la clarté nouvelle, il réalisait la vacuité de son exercice. Toute sa vie il avait cherché une evidence qu'il ne pouvait partager. Parce qu'il fallait voir vécu sa vie pour en éprouver la véracité. Les primates qui peuplaient et dominaient les sociétés ne pourraient accepter cette conclusion. Que le silence vint remplacer la parole et les cris dépassait de loin l'entendement de ces animaux.

Et dans la quiétude de sa connaissance, absurde superiorité de son intellect, il lanca la flamme dans les fondements de sa retraite. Et la tour s'embrasa. Et au milieu des flammes le vieillard heureux souriait.

Alors de la tornade brûlante surgirent une main et un visage. Et le viellard sû que l'achèvement de ses recherches passées n'était que le préambule de sa véritable oeuvre. Et il saisit la main secourable, sourit au visage amical et franchit le pas.


Réunion de direction


"- Grand Maah'Ur sur la passerelle."

La passerelle de métal surplombait l'intérieur de la tour en son travers, permettant de surveiller le fourmillement des activités en contre-bas. Le regard vide des griffons de pierre qui supportaient la charpente rappelait le bon ordre au personnel de fonction.

Un homme d'une demi taille humaine de haut coiffé d'un bonnet droit au liseré rouge venait de se placer au centre de celle-ci analysant la fureur émanente de la pièce. Au rythme des tintements du grelot qui surmontait son couvre-chef il avança, cadancé jusqu'à son fauteuil de cuir. Il s'éclaircit d'une voix aigüe à l'adresse d'une semblable en contrebas :

"- Rapport de situation Jah'Ggathe.

- Depuis deux jours le Maah'Laars enregistre les signes de relance.

- Précisez Jah', Kaabé s'y perd.

- La mission forestière A a dépassé la barre des 50k en positif. Les trois protocoles de vérification permettent de prédire le comportement évolutif sur les prochains mois.

- Et du côté de la mission agricole A ?

- Tous les indicateurs sont au vert. Vos ordres ?

- Renforcez les missions minières A et B ! Il nous faut du foin, en grand nombre. Ouvrez un centre de transformation et commencez deux missions d'exploitation fourragères. Les prix doivent baisser ! Délais ?

- Cinq semaines Grand Maah'.

- Je vous en donne trois et une de plus pour les correctifs spongieux. Les liaisons routières sont votre priorité. Donnez aux Maah' et aux Jah' toute latence d'action pour six semaines. Ensuite nous pourrons passez à la prolifération."

Une série de dents acérés se découvrit sous un sourire. Le Maah'Ur fit tinter son bonnet.


Contes d'ailleurs - Au bas des flammes


La chute fut rapide. Le viellard traversa l'anneau de feu pour poser le pied sur un parquet de bois blanc. Il epousseta sa bure. Face à lui, un homme à la barbe poivre et sel hirsute approchait la quarantaine. Sa bonhommie ventripotente secondée d'une épée hornée d'un loin blanc. A sa droite, une femme, blonde au regard faché replaça sa mêche derrière son oreille. Le front altier sous une tresse blonde auréolée de mèches rebelles. Cherchant à durcir son visage agréable, elle portait une chemise de lin noir brodé d’argent coupée strictement de cuir qui recouvrait son armure jusqu’à mi-cuisse. Et tous deux portaient leur pourpoint sang et lignage sur une armure de maille.

"- Este l'homme que nous chroyions ?

- Oui ma soeur, c'est-celui là.

- Venez je vous prie, adressa-t-elle au vieillard."

L'homme à la barbe proposa son bras à l'ancien qui accepta volontié pour descendre un escalier circulaire aux pierres suintantes.

"- Qui êtes-vous ?

- Je me nomme Ferdinand de Cassadet mais vous n'avez probablement jamais entendu parlé de moi. Ni de ma soeur, Blanche, suzeraine des Cressac. Prenez garde, l'humidité rend la pierre glissante."

Ils passèrent devant une fenêtre, au loin des forêts de chêne donnaient sur une muraille longue de plusieurs kilomêtre et la mer.

"- Des ennuis avec quelque chose ?

- Les murs ne servent à rien, ils sont là pour le décorum. Ah nous voici rendu"

La grande salle de granite qui s'ouvrait a eux avec les dimensions respectables d'une salle de conseil. Deux tables de chêne courraient sur plusieurs mêtres des imenses portes ornées jusqu'au trône de barral et d'acajou sculpté de lions. Blanche s'y installa et le vieillard décela un clignement d'agacement chez Ferdinand.

"- Nostre frêre passa la main par l'anneau du maistre de la plume Molière et vous fit prendre dans les flammes pour vous porter à nostre encontre. C'estui le pouvoir d'une bonne histoire que d'être fantastique. Aussi venant à nous, vous possédez des mots importants que vous nous devez partagerer, commença-t-elle.

- Je ne crois pas que ...

- Vous ne sachant pas où vous êtes tenez vostre parole ferme, coupa-elle"

Ferdinand adressa un regard complice au vieillard en posant son index sur sa bouche repris à la suite de sa suzeraine :

"- Vous êtes aux Cressac, sur les terres du Royaume de Tours et grands amis d'Haradren. Nos astromanciens ont lu plusieurs signes de ce qui arrivera. Nostre maison s'y résigne. Mais les sages ont découvert que les grandes vies de ce monde, non sans exister les unes après les austres sont souvent aussi à l'inverse et donc qu'il est impossible de parler de ce qui n'est pas advenu justement parce qu'il n'est pas encore arrivé. Donc nous sommes vostre futur dont nul ne peut parlé selon une loi divine. Connaistre ce qui adviendra trop tôt pourrrait le changer. Un oracle entouré de livre pourrait conjoncturer le temps. Et c'estui là que vous êtes, un point fixe."

Ferdinand repris:

"- Vous existeriez en infini. Je crois que c'est la caractéristique de l'Histoire sortie d'elle même qui existe non sans support mais bien à travers les flux de pensée qui engagent tous ceux qui y on accès, des choses mortes qui laissent des traces aux choses vivantes qui font vivre celles-ci. Et donc que vous et la tour que vous ferez brûler sont des points stables. Des points de passage pour revenir au passé."

Le regard du veillard s'éveilla d'épouvante

"- Vous parlez des métamythes.

- En effet mais vous savez, moi et la géométrie, ria l'homme barbu. En plus je suis supposé me faire décapiter par ma nièce, une horreure à dire vrai. Il tira de son pourpoint une montre à gousset qu'il rêgla. Il se fait tôt ma soeur.

- Nous croyons que l'homme âgé ne peut en rien servir nostre plan. Pis, il se trouvera d'austre plus fragiles."

Elle s'approcha avec un désir carnacié.

"- Je peux vous ramener, implora le vieillard, mais cela vous coupera de tout.

- C'estui une bonne nouvelle. Pour ces besoins notre frère dirige la Bibliothèque du Fray.

- Reste à trouver un pretexte ma soeur.

- Nous avons un Roi et des amis plein de bonne volonté et qui m'apprécient. Nous devons juste arriver à ce qu'ils vous detestent. Mon frère."

Elle hocha de la tête à son adresse et laissa le vieillard aux bons soins de Ferdinand.


Bothrale


En dessous des anses,

Loin sous le profond,

Venait le glapis.


Aux coups sourds et suants,

Au son sincère et blaffard.

Les ressacs se marraient

De ses six doux regards.


Et venait le glapis,

La brume auxiliaire,

Le monde avachis,

Le clic brumeux.


Et moi, j'ouvrais enfin les yeux.


Dahlia, archetype et lumière


Quidam, pluie de comètes,

Gise sous les cimes.

Frêles et bruine et salpêtre,

S'y lovent les charlatans.

-

"Oh non que vois-je ?"

L'aveugle s'écrit sans hache.

-

Honnêtes bourreaux d'un chêne brut.

Etincelles d'averses radicales

Les rimes sur la grèves

Ébullition d'etoiles, un prince.

***

"C'est beau" dit le sot.

"C'est laid" dit le poète.

"Combien ?" demande le marchant.



Avec mes folies je partais pour Jerusalem et par amour je reste.


Toi et ta morale je vous deteste. Je veux faire s'écrouler la maison de nos pères. Les marchants ont envahi le temple. Ils trempent l'obole de mon sang et la porte aux lèvres. Ils sucent et croquent.Tu as de beaux cheveux.


Et ces yeux de piment qui rappellent l'enfance.

Et ce rire dément qui rappelle ma démence.

Tu es mon échos de colère. Tu les as vu : les nôtres anthropophages. Ils aiment plus la chair que l'or les marchants. Tu les as vu les nôtres. Ils ont oublié la beauté de la mort. L'ultime liberté que tu m'as ravie, toi !

Et si Rome ne t'admire, elle brûle. Nous ne se décrète. Nous se construit. Nous est un renoncement. Nous est une épitaphe à chaque crépuscule.

Et chaque soir je me dis sur tes mèches de sommeil :

"- Je ne crois pas moi. Je ne crois plus. Et demain je partirai pour Jerusalem."


Croque dans l'brie !


Les jambes de l'enfant dévoraient la ruelle qui descendait vers le quartier des charbonnières. Il laissait dans son sillage une longue trace de sueur et de bave et quelques badaux interrompus. A son arrivée, il chuta presque, s'arrêtant là où le seigneur du village martelait, trois clous en bouche. Entre deux aspirations asphyxiées :"M'ssir, M'ssir, y'a le visiteur qui campe à la place ! Un grand, tout pâle et tout rouquin ! Il d'mande qu'à voir vot' face !"

***

Maah'rs regardait les bourgeois installer les tables et les grands bancs d'honneur. Courrant sur toute la place, les quinze tables de banquet s'apprêtaient pour quinze fois ce nombre de convives. Elles serpentaient de tout leur long se couvrant de linge blanc et d'émailleraies usées : celle des grandes festivités. Le seigneur se retourna vers son invité :

"- J'ai reçu des visites de l'empire. Deux ou trois oui, des gens polis."

L'autre répondait lorsque le lapin, les carottes et le lait se déversaient sur les tables. La populace riait en se lançant des calembours ou se disputant le ragot.

***

Maah'rs pencha la tête et se lêcha les doigts en jetant dans une assiète une patte de lapin coulante de graisse. Il s'essuya les mains dans la nappe :

"- Je vous écoute en mangeant.

- Je visite les producteurs locaux, commença l'autre en se servant le lapin. Je recherche de nouveaux marché afin de vendre mes minerais à de meilleurs prix.

- Nous avons quelques forges oui, mais pas de fonderies. En revanche le fromage... Comment est vostre fer ?

- Je produis point de fer. Je produis de l'étain et du cuivre que je fonds."

Le seigneur des lieux réflechit et se penchant en arrière fit signe à l'un des convives de s'approcher. Un homme maigre aux bras dessinés vint :

"- M'ssir ?

- Il dit qu'il vend du cuivre et de l'étain, ça te parle ? fit Maah'rs en point l'invité du doigt.

- Peut-être pour les écus et les lances. Sinon j'vois pas. répondit-il en secouant la tête.

- Merci, va ! le congédia le seigneur."

L'invité intervint :

"-Il y a bien plus que cela."

***

Les tables n'étaient pas débarassée depuis cinq minutes que la foule déjà scandait "le brie ! le brie ! le brie !". Maah'rs se curait les dents avec un os de lapin tout en échangeant avec le visiteur. Les convives martelaient de leurs poings les tables et tout tremblait joyeusement. Les gobelets roulaient. Ca et là certains se levaient sur les bancs dans l'attente.

Une brouette apparu entre les arcades.

"- C'est l'heure de croquer dans le brie, sourit Maah'rs".

Poussée par deux hommes solides, une tome énorme de plusieurs centaines de kilos remuait, secouée par les pavés. La foule se levait à son passage dans les rires et les applaudissements. Remontée à l'une des extrêmités, il ne fallu pas moins de quatre gaillards fortemement charpentés pour la soulever et la poser sur la table. Un silence religieux se fit. Les porteurs s'éloignèrent et un cri retentit :" Croque dans l'brie !" La foule renchérit : "Croque dans l'brie ! Croque dans l'bri ! Croque dans l'brie !"


Alors le premier convive mordit goulument dans la tome et la fit rouler vers son voisin qui, à son tour, y laissa une trace de sa dentition. Et la tome roulait de convive en convive vers Maah'rs et son invité, entammée à chaque passage sous des rires hilares. La populace se déchaînait.

"- Il est possible de construire un phare de moindre qualité, commençait l'invité."

Le seigneur arrêta la tome d'une main et considéra une partie non attaquée. Il la dévora avec avidité avant de la faire rouler vers l'invité :

"- C'est envisageable".

***

Les habitants allumèrent de grands feux sur la place débarrassée de son banquet. Un orchestre improvisé ouvrit la soirée des danses et joyeusetés.

"- Vous êtes nostre invité, dit Maah'rs en claquant dans ses mains".

Il se leva et se joignit à la ronde des siens.


Sans doute, le temps d'un au revoir.


Les roches sayantes de la côté respiraient la marée. La froidure le faisant, le ciel s'allongeait de mille moutons cotonneux. Ca et là lapin et poules picoraient le bleu. Maah'rs cala ses mains sous sa tête et exhala. La vapeur se mélait aux embruns.


Le roulis apaisant, la barque filait le vent. Elle fendait le flot, au dessus le ciel, au dessous les abysses et rien derrière. Plus de brie, plus de seigneurie et pas d'histoire à raconter.


Sans doute, le temps des au revoir.

" Encore eut-il fallut qu'il y ait quelqu'un à revoir, s'amusa-t-il".


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