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Photo du rédacteurCASADO Vincent

Chroniques de Cassadet sur Terra Borealis

Dernière mise à jour : 22 sept.

Jour 24 - Escarmouches


Je crois en la violence.


***


Le vent venu de la mer emportait la belle fumée blanc-gris au dessus des cimes. Le bois qui aurait dû devenir une motte castrale prenait bien. Villeneuve, un blond au visage tuméfié, poussa un cri avant de lever sa hampe. Trois oriflammes d'argent à la fasce d'azur semée de lys d'or claquèrent haut. Le sergent Lecoq acheva un blessé qui n'avait même pas essayé de saisir sa hâche. Les cadavres des bûcherons du domaine étaient éparpillés alentour.

Un piétinement gronda au nord. Des paysans accouraient au secours des malheureux. Lecoq échauffa la troupe à la bataille.


***


Une carte grossière s'étalait à la lueur avare des bougies. Lecoq renifla vigoureusement lorsque Villeneuve posa un doigt entre les bâtons qui représentaient les domaines de la dame du lieu.

Une présence aussi bas dans les terres était une insulte qui appelait une réparation.


***


Les pigeons se pressaient les uns aux autres dans une fanfare de roucoulements. Les plumes et la fiente pleuvaient. Anne de Cassadet, le visage fermé, dictait au page un message destiné à son herm -la voix qui voyage-. Maintenant qu'elle avait engagé des hostilités, elle pouvait exprimer ses attentes pour une paix durable.


***


Temporaire, l'herm marcha vers une femme aux seins nus. Elle mis cette dernière en connaissance de l'épineux problème. Un homme plus âgé à la voix forte sous un grand chapeau s'approcha. Ces interlocuteurs l'assurèrent d'intercéder auprès de ce voisin.


***


Un plis simple arriva plus tard contenant les excuses. Un accord de routes et de chasses aux bandits et aux loups fut consentit par les partis.


Jour 38. Impôts


Je crois en l'or.


***


La poussière dansait à chaque pas de la voyageuse. La route sinuait entre d'énormes pierres gravées tout au long de la forêt. Le chemin depuis Hautegarde mourrait dans le couvert de fraîcheur. Le front se perlait d'effort.


***


Une petite cassette de fer, cerclée de mélèze s'ouvrit sans bruit. Le fermier général y laissa couler la bonne quantité d'or brut. La voyageuse la referma prestement puis salua l'hôte en faisant tinter du doigt la balance de bronze posée sur l'étal.


***


Au retour du sixième village la pente poussait doucement la voyageuse. Au bas, une motte castrale dominait les fumées mornes de la soirée.

D'une main leste Hildegarde rabatit le foulard laissant voler ses fines mêches brunes. Elle repoussa d'un mouvement de tête l'idée d'égarer une partie de son fardeau et reprit sa marche.


***


L'or coula pendant une longue minute. La cassette se vidait sur la table. L'on pesait, évaluait à la lueur des chandelles la qualité de la perception.

Hildegarde et Anne échangeaient au dessus d'une carte les chemins à tracer dans les massifs forestiers. La couronne de la dame de Hautegarde reposait sur le siège de peau tendue entre deux traverses de bois ouvragé.

"- Bientôt viendra le temps des amitiés et des serments. Et je n'arrive pas à deviner ce que ma soeur a en tête, souligna Hildegarde en traçant une ligne imaginaire qui joignait deux domaines."

Anne plissa le regard pour suivre le geste. Elle traça une ligne contraire en replaçant une mêche rebelle :

"- Les choses vont s'accélérer il est vrai ma soeur. Mais qui se souviendra de nous ?"


Jour 41. Loup


Je crois en la violence.


***


Emportée par une tête un peu trop lourde, le choc de la hache sur le tronc crachait des copeaux sur le tapis de mousse. Tout autour de l'épicéa centenaire pleuvaient les aiguilles et les fruits. Passant une main tremblante sur son front Gigot entendit un hurlement sinistre à quelques lieu de là. Le village était loin. Il rafermit sa prise et récita le troisième fer de la Forge de Braise.


***


Serre venait d'avoir vingt-sept ans. Ses cheuveux bruns fermement noués sous le casque et une volonté de fer épargnait un esprit simple forgé par une éducation stricte. Dans l'escalier qui menait à la salle de la dame de Hautegarde, elle soupesa son bouclier de mélèze. Elle n'aimait pas l'idée qu'il fut tout entier acheté à des forges étrangères.

Dehors, la pluie matinale frappait l'ardoise des toits avec véhémence.

Villeneuve, appuyé sur sa coutille, hocha de la tête à son passage. Elle s'amusa que la joue du soldat quittait la violace pour un brun sale.

La porte s'ouvrit. Anne de Cassadet, penchée sur ses cartes, salua sans regarder l'arrivante. La couronne juchée sur un voile travaillé laissait échapper des boucles rousses. Elle adressa un sourire contrarié pour indiquer à Serre de s'approcher.

"- Nostre frère, Béranger nous adressait ce message. Le loup harcele ses bonnes gens. La bête courre depuis trois jours. La dernière fois, nous y envoyions quelques paysans et coutilliers les affronter dans une mine. Ceux-ci sont revenus abîmés et terrifiés. Je vous confie la patrouille forestière. Avec, les routes de la forêt seront sûres. Voilà la seule vérité.

- Voilà la seule vérité, s'inclina Serre en reculant pour gagner la porte."


***


La boue avait à moitié avalé les cadavres des bûcherons de Sombrebois. Les corps et les membres formaient de curieux symboles dans la bourbe. Deux bêtes énormes à la fourure grise mordaient goulûment la chair. La gueule faisait la taille d'une tête. Les empruntes humides qui s'enfonçaient dans la boues pouvaient contenir facilement deux nouveaux-nés.

Serre secoua la tête pour chasser une mauvaise pensée et récita le deuxième fer de la Forge de Braise. Elle ordonna aux épéistes de charger. Le premier carreau d'arbalète siffla sous la pluie.

Alors que le monstre surpris chargeait sur les premiers rangs, une seconde bête sautait des taillis sur le flanc de la troupe.


***


Serre harranga la troupe. La pluie drue étouffa la clameur.

Même morte la bête restait impressionnante. Le sang imbibait la boue. On porta les corps en terre. Serre déchaussa un croc de la gueule et attacha le trophé à son bouclier. Le signal du départ fut donné d'un geste du bras.



Jour 49. Défaite


Je crois en la fidélité.


***


Cela faisait une semaine qu'Hautegarde avait la chance de pouvoir honorer ses serments. La nouvelle l'avait surprise cependant. Elle avait donc dépêché la patrouille forestière loin à l'Ouest sous le commandement de Serre.

Elle ne savait pas les raisons ni les motivations, qu'importe.


***


Un soleil clair dardait le val. Les montagnes rouges et grises se dressaient en rempart de part et d'autre de la plaine. Anne de Cassadet chevauchait à travers les prairies entourée d'une chevalerie pesante.

Le reflet des champs de sel blanc éblouissait encore la troupe lorsqu'elle entra dans le petit village de pierres blanches, couronné de toits d'ardoise.

Son invité l'attendait. Elle le félicita de la célérité de sa monture, [I]Pommelac[/I]. Ils échangèrent un peu puis elle mit pied à terre et se rendit à un étal surmonté d'une toile bigarée. Derrière, une femme grasse, en nage, trop lourde pour se lever à l'envie, s'éventait en comptant des pièces. Elle accueillit la dame de Hautegarde avec déférence. Anne de Cassadet commanda des chevaux de guerre, en nombre. Là était maintenant le devoir du Val.

Dans le ciel un pigeon fondit sur la troupe. Anne de Cassadet, à la lecture du mot laissa son visiteur au Val-Sel.


***


McDowell, chef de la patrouille forestière de Bellegarde, avait succédé à Serre comme conseiller militaire auprès de la suzeraine. Assise sur son trône, Anne écoutait :

"- Au matin, on les a découverts ma Dame, relatait McDowell. Les corps des archers pendus aux portes de la ville.

- Les archers qui, par temps de paix se voient confier la construction des maisons de bois ma Dame, précisa monsieur Bacquereau, intendant du lieu.

- L'ennemi a profité de l'obscurité, repris McDowell ils sont venus en nombre.

- Que nous conseille-t-on, interrogea Anne ?

- On parle d'une caserne en reconstruction, indiqua le soldat. L'assaut serait simple, contre des civils, une victoire aisée. Mais j'insiste sur la dangerosité de la manoeuvre. D'autres pourraient penser que vous commetez une étourderie.

- Répondez avec fermeté ma Dame, insista Bacquereau.

- Soit."

Anne de Cassadet cacheta le mot et le page partit pour le pigeonnier.


***


"- A vos armes les soudards, hurla Serre cheffe de la patrouille forestière ! Vos épées vont enfin trancher autre chose que des bandits de grand chemin et des loups de forêt !"

Une clameur joyeuse répondit à la harangue. Serre leva le bras et la troupe s'ébranla.


***


Le trait transperça la cotte de maille. Le visage effaré de Castellanos s'écrasa sur le sol, les mains croisées sur le coeur. Serre leva son bouclier :

"- Mais d'où ils sortent putain, on avait pas envoyé des gars pour les retenir ?"

Knapp, se pressa la gorge et chuta en arrière dans un gargouilli écouerant. Un à un les membres de la troupe s'effondraient sous la pluie de carreaux. En quelques minute, plus rien ne restait. Un à un les membres de la troupe s'effondraient sous la pluie de carreaux. En quelques minute, plus rien ne restait.


***


Anne brûla la lettre. Une troupe mal équipée, mal préparée et seule n'avait à l'évidence rien pu faire. Une troupe couteûse, mobilisée loin à l'Ouest et qui cantonnait depuis une semaine.

Elle signa l'ordre de recrutement puis se leva pour regarder par la fenêtre les palissades qui se montaient à l'autre bout de la ville. Dessus flottaient les bannières d'argent à la fasce d'azur semée de lys d'or. Hautegarde avait eut le chance de pouvoir honorer ses serments. Elle sourit en sussurant le troisième fer de la Forge de Braise.

" Voilà la seule vérité."


Jour 51. Bataille


Je crois en la persévérance.


***


Les mouettes se laissèrent porter un temps par la brise du levant. Ce vent salutaire maintenait les nuages grondants au large de la côte. Les pêcheurs de Pont-Sur-Mer regardèrent une voile rouge et blanche filer sur l'eau. A la proue, un inconnu rajustait sa capuche pour mieux effacer ses traits.


***


"- Là, ils débarqueront là dans l'après midi, affirma McDowell pointant du doigt un bout de terre perdu au Sud !

- C'est bien loin de l'Ouest, remarqua Bacquereau. Est-ce que notre homme est sûr de son information ?"

Anne de Cassadet leva un rouleau de papier.

"- Suite à notre insuccès d'il y a peu, nous avons une chance de paraître de nouveau crédible à la table de notre suzerain. Ceci est une invitation toute informelle."

Elle signa l'ordannance de mobilisation de la première compagnie de coutillier de Hautegarde et la tendit à Bacquereau.


***


Le ciel était lourd alors que les nuages s'amoncelaient au dessus du bois. Le sergent Lecoq fit un signe à Villeneuve, indiquant les nuages :

"- Faudrait pas qu'il pleuve !

- Oh tu sais c'qu'on dit, plaisanta Villeneuve, ici il pleut que sur les cons !"

Gay, un jeune dans la vingtaine revenait en courrant de sous les frondaisons. Dans le cahot des mailles qui se heurtait, il cria :

"- Ils sont là, ils sont là merde, levez vous, ils sont là !

- Espèce de con, rugit Villeneuve ! Toute la forêt sait qu'on les attend maintenant !"

Le ciel gronda.


***


L'image d'une étoile d'argent un pourpoint de mûre s'imprima dans la rétine de Gay quand la pointe de la lance lui perça le poumon. Il agonisa de longues minutes. La compagnie désorganisée avait absorbé tant bien que mal le premier assaut ennemi. La deuxième vague perçait déjà les défenses de Hautegarde.

Soudain, de l'oré s'abattit une pluie de carreau. Lecoq, sonné d'un coup de manche ne réagissait plus. Villeneuve ordonna à la volée de charger les arbalétriers qui les arrosaient !

De toute part des troupes nouvelles se pressaient. Piquiers, coutilliers et arbalétriers vêtus d'argent ou du mûre venaient ajouter au chaos.


***


Montgoméry sortit du bois pour découvrir que les arbalétriers ennemis étaient entourés d'une troupe de lances plus nombreuse. Les nuages noirs et la poussière occultaient sa vue. Le sang qui battait ses tempes et un irrépressible voile obscurcissait son champs de vision. Plus que sa volonté, son instinct et son sens du devoir se disputaient sa discipline. Sans réfléchir il frappa comme un sourd. Un coup de poing féroce le remit en place.

Il plissa les yeux et reconnu le lion d'or sur font d'azur des alliés de sa suzeraine. Ceux-là déjà avaient occis une partie des ennemis de mûre et les carreaux déjà se raréfiaient.

Il leva les mains pour intimer aux siens de se reprendre et de n'attaquer que le violet. Une lame lui faucha la jambe et il passa ses dix dernières minutes à hurler et pleurer.

***



Gaudin tenait sa lance haute. L'oriflamme de Hautegarde dansait au dessus de la troupe de chevalier. Il rabattit sa visière et éperonna sa monture :

" A la bataille, s'exclama-t-il !

- Voilà la seule vérité, psalmaudia la charge !"

La première charge de la chevalerie de Hautegarde montait vers le sommet d'une rangée de piques et les lances effilées.



***


Un soleil dardant éclairait les toits de Hautegarde. Le ciel était si éblouissant qu'on avait fait fermer les volets. Un trait de lumière crue traversait la salle où se tenait le conseil.

"- Beaucoup de jeunes sont morts aujourd'hui, fronça McDowell.

- Bacquereau, questionna Anne d'un ton neutre ?

- Nous déplorons la perte de la première compagnie de coutilliers, la première compagnie de piquiers ainsi que les trois-quart de la chevalerie, lista l'intendant d'un ton aussi neutre.

- Est-ce une victoire, posa McDoweet une note d'amertume dans la voix ?

- C'était une bataille et nos hommes sont les derniers à être repartis du front, soupira Bacquereau. Le suzerain de notre Dame a consentit une généreuse compensation au regarde de notre investissement.

- Six cent quarantes morts ! Deux-cent soixantes des notres gisent sans sépulture ! Combien de temps encore ça va continuer ? Nous ne savons même pas ce que nous fouttons là-bas !"

Anne haussa un sourcil en souriant.


***


La salle du conseil était vidée de tous ses participants. Seule Anne s'accordait un temps de repos. Elle contemplait les cartes d'un regard vide. Une femme maigre, aux pomettes saillantes, vêtue d'une robe rouge quitta le banc sous la fenêtre. Elle contourna la table du conseil pour se placer à la droite de la suzeraine de Hautegarde :

"- Doutez vous, ma Dame ?

- Les serfs seuls ne doutent pas, sourit Anne. Mais, dis-moi, Ultrogothe, héritière de la Forge de Braise, qu'en pensent les gens de nos peuples ?

- Et de la forge naquit la première. Et la première suivit Sa voie. Sa voie est la seule à suivre. Suivons la voie, récita Ultrogothe.

- Tu as raison prêtresse, fit Anne en inclinant la tête. Nous tous devons suivre Sa voie."


Jour 55. Baronnie


Je crois en la fidélité.


Le casque rebondit sur la table de chêne dans un bruit sourd. Un acier vif, couvert de rayures, sans entailles luisait sous la flamme des chandelles. Anne de Cassadet leva les yeux vers qui lui présentait le trophé. Une femme au tein halé, les yeux sombres portant en travers de son dos une arbalète. Bacquereau l'intendant frotta son double-menton gras et glabre :

"- Ce casque nous vient de l'Ouest ma Dame. Nieto que vous voyez le ramène de la bataille au bosquet d'Akvolhoh.

- Ma dame, s'inclina Nieto."

Anne haussa un sourcil et soupesa l'arme.

"- Nous avons entendu des rumeurs, commença doucement la suzeraine. Les armes et les armures de l'Ouest seraient plus solides que celles de nos compagnies.

- Ma dame, j'ai été à la charge des Ouestriens, assura Nieto en rajustant sa ceinture. Ce fer là, ça rentre dans les cottes de maille de nos gars. C'était comme un couteau dans du beurre. Et nos lances à nous, elles se sont tordues comme de la cire quand on les a frappé !

- Nous entendons, posa Anne en reportant son attention sur le casque. Bacquereau, veuillez remercier l'arbalétrière et ses compagnons pour leurs services, sourit Anne. Qu'ils ripaillent trois jours et trois nuits, qu'ils dorment aux meilleurs lits de la cité. Puis ils se joindront à nouveau aux patrouilles forestières de Bellegarde."

Anne congédia Nieto d'un revers de la main. Bacquereau racompagna la femme à la porte. Le bois craquait à chaque pas. Il revint au près de sa suzeraine en se tenant le ventre. Anne de Cassadet leva le casque face à son visage et l'évalua à travers son reflet.

"- Que nous conseillez vous ?

- Ma Dame, cet atout expliquerait les complications que vos troupes rencontrent à la bataille.

- Nous avons entendu, posa Anne. Que nous conseillez vous ?

- Nous pourrions acheter leur fer aux ouestriens."

Anne plissa le nez de dégout avant de reprendre :

"- Faites porter ce fer aux armuriers. Peu importe qu'il soit fondu et frappé, déformé, étendu, vidé ou qu'il soit bouffé et chié. Nous voulons que nos forges équipent nos compagnies avec semblable fer."


***


Sous une pluie cruelle, le genoux dans un sol boueux, Anne attendait qu'on lui posa la couronne sur la tête. La cérémonie fut sans invités et sans surprises. Elle se releva baronne de Hautegarde. En un jour, elle avait su abandonner toutes ses prétentions et celles de sa lignée.

"- Vous pourriez prétendre à plus, osa Bacquereau.

- Avez-vous déjà vu des princesses gouverner des villages, sourit Anne de Cassadet ? Nous sommes le sang et la race. Voilà la seule vérité."




Jour 68. Château


Je crois en la bravoure.


***


Il n'y a plus aucun bruit dans la ville. Les marteaux des forges et les bruissements du marché, les crissements de scies et le rire des passants avaient quitté Hautegarde en même temps que le décret de mobilisation. Depuis la cour du château s'étirait la file des trois régiments de soutien de la baronnie renforcés du régiment d'assaut et de la patrouille forestière de Bellegarde. A cette heure, ils partaient pour l'Ouest.


***


Anne de Cassadet, paraissait sereine. Elle avait voyagé plusieurs fois à l'Ouest et en était toujours revenue. Le nouveau fer immitant celui de ses ennemis avait été vomi pendant des jours. Et sous son regard perçant venait la cohorte. Les fanions d'argent à la fasce d'azur liseré de lys d'or claquaient au pas des tambours. Pendant cette longue marche, les soldats ne virent que la boue, les rocs et la plaine à perte de vue sur l'horizon des montagnes. Puis ce fut des marécages entre des forêts de pins étouffants. Alors, débouchant au bras d'une rivière, ils montèrent le camp.


***


Lecoq pissait. Il avait marché tout le jour et maintenant il se vidait de tout le vin qu'il n'avait pas ecnore pu boire. Il fallait faire de la place. Il cracha en se demandant ce qu'il fouttait là. Certes, il avait été sergent dans la patrouille forestière. Mais c'était il y a longtemps. C'était avant la guerre. D'ailleurs, un peu avant qu'elle ne commence, il avait rangé son arc pour fabriquer des chemises de maille. A la forge, il était doué. Des mains solides, l'endurance née pour battre encor et encor le fer. Aussi, lorsque la baronne décréta la mobilisation, il avait tenté d'échapper aux régiments. Quelques coups de fouet et une cicatrice à la joue l'avaient mis dans le rang.

Un blondinet de seize ans se campa à deux bons mètres de lui, et entama aussi sa purge :

"- Ah m'sieur, j'ai hâte, commença le jeune !

- Tu as hâte de quoi petit, grogna Lecoq ? Là où on va c't'une putain de sale affaire.

- Hâte de venger mon frêre ! Il s'est fait buter par les oustriens à la bataille au bosquet d'Akvolhoh.

- Il s'est fait buter par la guerre, comme tous les cons. S'tu veux mon avis, c'est la baronne qui l'a tué."

Face à la mine choquée du jeune homme, il grogna de nouveau :

"- Oublie petit... Et comment qu'il s'appelait ton frère ?

- Gay m'sieur."

Lecoq remonta secoua son membre et remonta ses chausses :

"- Ben c'était un gros con ton frère, renifla-t-il en partant."


***


Anne était seule dans la tente. Les ordres avaient été donné. Ses troupes ne devaient pas provoquer d'exactions, ni tuer de civils. L'objectif était simple, attaquer un château, vider la garnison et repartir. Les régiments de soutien prendraient les murs nords, vidés, tandis que le régiment d'assaut entrerait par l'ouest. Finalement les balistes finiraient le nettoyage.

***

Les régiments arrivés au pied des murs patientaient depuis plusieurs minutes. Lecoq hurla :

"- Où sont les échelles ?

- Quelles échelles le vieux, lui cria un brun charpenté à l'air abruti ?

- Et comment qu'on va monter là-haut espèce de grand con ."

Personne ne réagissait malgré la catastrophe imminente de s'être pressés comme des lapins au pied d'un mur infranchissable.

"- Tirez mes gaillards ! Etrillez-moi cette place, rugit le sergent derrière."

Et Lecoq encocha sans rien savoir de ce qui était derrière le mur. A l'autre bout du château, le régiment d'assaut menait la charge sur la porte pour la deuxième fois sans parvenir à passer la garde.

***

Gay ne fit aucun bruit quand la flèche transperça son artère fémorale. Il se contenta de presser sa jambe en tremblant. Un archer ouestrien des ennemis avait passé le siège et se tenait en haut. Il tirait trait sur trait en direction des assaillants. Gay ne dit rien, il s'assit contre le bois et laissa le froid l'emporter. Une larme coula.

***

Anne arriva à la porte avec ses balistes et la patrouille de Bellegarde. Les énormes carreaux vidèrent le centre du château. Deux d'entre eux fauchèrent les dames du seigneur du château. Les soldats venaient de rompre l'ordre de ne pas tuer les civils. Anne sourit.


***

Les troupes de Hautegarde se retiraient piteusement. Nombreux étaient les corps gisant et les bannières d'argent fracassées. La longue route du retour fut silencieuse. Lecoq caressa sa cicatrice en magréant. Il soutenait une femme en maille à la jambe blessée qui cracha :

"- Putain de ouestriens.

- C'est pas eux qui ont ordonné un assaut aussi con, fit l'ancien forgeron.

- C'est eux qui ont tué nos gars. Soit t'es avec nous, soit t'es avec eux."

Lecoq se tut. Il espérait pouvoir retourner à la forge après toute cette folie. Maintenant que la baronne était rassasiée de son quota de chair.

***

"- Ma soeur, dit Béranger en posant une main sur l'épaule d'Anne. vous devriez arrêter d'essayer. Chacune de vos tentatives couvre notre nom de ridicule.

- Nous sommes partis à l'Ouest une fois et nous avons perdu une patrouille. Puis nous sommes partis au Sud et nous avons perdu un régiment, une patrouille et nostre chevalerie. Nous venons de repartir à l'Ouest et nous avons perdus quatre régiments et une partrouille. Qu'en pensez-vous ?

- Que vous semblez aimer perdre ma soeur, rit Béranger.

- Mon frère, sourit Anne. Et maintenant que nous avons tué deux membres d'une de leurs maison, croyez-vous qu'ils nous laisseront, qu'ils pardonneront ?

- Hé bien excusez-vous ! dites que ce n'était pas votre intention. Que vos soldats ont désobéi à vos...

- Telle était nostre intention, coupa Anne.

- Et, puis-je demander, reprit Béranger en frottant son index de son pouce, pourquoi une telle sôtise ma soeur ?

- Désormais, il nous faut dix régiments pour être sûrs ne de pas être extérminés. Il nous faut plus d'armes et plus de troupes. Il nous faut plus d'or. Et nos gens qui ont perdu des leurs nous sont loyaux. Et nos alliés pour qui nos peuples versent leur sang savent nostre détermination à leur cause. Et nos ennemis, nos voisins et nos amis, savent cela également.

- On ne sait même pas à quoi sert cette guerre !

- L'or, les titres, les terres, la vengeance, toutes ces raisons ou aucune. Rien de tout cela n'a d'importance mon frère.

- Qu'est-ce qui a de l'importance alors ?

- Un jour viendra nostre première victoire. Et toutes ces défaites disparaîtront. Alors nous serons ce que nous devons devenir : une maison qui ne craint ni le sang ni la chute. Une maison qui sait la guerre. Et ceux qui rient, alors nous respecterons. Car toujours je reviens.

- Et combien d'innocents sur ce chemin ?

- Et par le doute, et par la colère, psalmaudia Anne. La voie vainc l'ignorance. Voilà la seule vérité."


Jour 73. Raid


Je crois en la discipline.


La mer soulevait les vagues contre la coque. Les navires filaient sous le ciel noir. Les voiles bleues se confondaient dans la nuit finissante. A bord, trois compagnies d'assaut de Hautegarde, de la piétaille volontaire, luttaient le sommeil, bercées par la mer. Dans cette torpeur, le lent reflux de la nuit combattait la marée mauve qui annoncait le jour.


***


Gachet, une brune aux épaules menues, sergent de la première compagnie, se tenait au bastingage pour contrarier la houle. Le regard porté sur l'horizon naissant, elle se retourna vivement quand une voix grave se roula derrière elle :

"- Première fois en mer Gachet ?

- Première fois ouais. Et toi Love, demanda-t-elle au sergent de la troisième compagnie ? Ca a l'air d'aller.

- Première fois aussi."

L'air vif piquait les yeux des veilleurs. Love héla une jeune fille en armure s'assoupissant puis il passa une main calleuse pour tenter de lisser une moustache grise et drue. Il toussa et reprit :

"- On est pas nombreux.

- Ce n'est qu'un tout petit château, sans aucune garnison.

- Et s'il y a des renforts ?

- Une bonne raison de tuer plus de ouestriens. Le château d'Ironhold, j'avais un fils. Et toi ?

- Mon fiancé était en faction, la nuit où les ouestriens sont venus à Hautegarde. Ils l'ont pendu."

Love cracha.


***


Ce vicomté de l'ouest était un petit bourg paisible. Une troupe réduite en gardait la place. Lorsque les assaillants arrivèrent, les défenseurs chargèrent bravement. Cependant, l'anniversaire du vicomte avait eu lieu quelques jours auparavant et les portes de la motte castrale étaient toujours grandes ouvertes. Anne y entra, accompagnée de ses hommes. Elle fit poster un bélier pour jeter à bas les piliers qui soutenaient la structure.


***


Les étals du marché étaient renversés. Les corps arborant le blason de sable au lion assi d'argent formaient un cercle témoignage de leur résistance. Les derniers tombaient. Love transperça la jambe du ouestrien de sa lance. Elle frappa du plat pour le regarder ramper dans la poussière. Dans un grognement, il se rassit, la défiant du visage et lui cracha des mots dans une langue qu'elle ne comprit pas. Elle lança à la cantonnade :

"- J'ai pas la moindre foutue idée de ce qu'il raconte ! Quelqu'un sait ?

- Il dit qu'il vous emmerde sergent, cria un soudard !

- Rien à fouttre de ce qu'il dit ! Crevez-le sergent !"

En hurlant, Love passa sa lance à travers la maille de son ennemi.


***


Les piliers du château tremblaient à peine à chaque coup de boutoir. Le temps filait. Les vigies au nord et au sud-ouest restaient silencieuses. Les manoeuvres s'épuisaient. Anne de Cassadet fit un signe de tête au sergent McDonald puis sorti. Le soldat leva son épée :"nous partons".


***


Les lourds rideaux occultaient les rayons, laissant un trait de lumière découper les ténèbres de la pièce. Anne devisait avec Bacquereau, le ventripotent intendant et Béranger, un homme immense au crâne luisant. Ce dernier, à son habitude, se gaussait de la baronne :

"- Félictations ma soeur ! Vous avez occis quelques hommes en arme avec une troupe plus de dix fois supérieur en nombre. Et sans aucune perte, ce qui relève de l'exploit vous connaissant."

Anne faisait tourner le vin dans son verre :

- Il semble, que nous ne puissions plus destituer les vicomtes et les rois qui seraient battus sur leurs propres terres. Une princesse de village, courant entre les cochons et la paille et nous ne pourrions même pas érafler sa couronne, soupira la baronne plissant le nez de dégoût.

- Et une baronne qui ne peut pas même détruire un château de bois ?

- Vostre ville nouvelle devrait pouvoir remédier ce petit déplaisir, mon frère.

- A moins que la paix n'arrive. Vous n'êtes pas en position de force mais vous n'êtes plus menacée. Peut-être est-il temps de réfléchir à...

- Si vous me permettez, sussura Bacquereau, les gens de l'Ouest sont venus une fois.

- C'était il y a longtemps Bacquereau, vous dramatisez coupa Bacquereau.

- Oui ils sont venus. Aujourd'hui seules nos incursions régulières et surtout la fidélité à nos serment les empêchent de revenir. Les guerres prennet du temps et...

- Perdre ses conseillers militaires en les envoyant prendre des places fortes n'est pas la manière la plus avisée de se mettre en sécurité, insista Béranger.

- Et que me conseillerez-vous ? Mon frère.

- N'en déplaise à Ultrogothe et ses paroissiens, il n'y a pas qu'une seule vérité."

Anne haussa un sourcil.


Jour 77. Paix


Je crois à la destinée.


Le ciel était splendide. Sous cette immensité une vallée de toit qui encerclait la forteresse. Juchées à une hauteur effarante sur la montagne la plus haute, les bannières de gueule à la vouivre d'argent flottaient partout sur les hauts murs. Les remparts se dressaient similaire à des cascades de roche et d'acier.

Les bois alentour avaient été abbatus laissant une étendue rase pour étriller toute armée approchante sur une bonne dizaine d'acres.


***


Au plus profond de la forêt des filets de fumée s'élevaient, trahissant la présence d'une forte armée.

Plusieurs milliers d'hommes campaient là. Les banières des livrées des maisons fortes de Terra Borealis remuaient dans la brume matinale, azurs et sinople, argent et sable, de sanguine et or, épéé, lys, croix, licornes et phoenix. Les ingénieurs montaient de larges catapultes et de robustes béliers. Partout courraient hommes, chevaux. Les cris et les ordres fusaient. Le branle-bas de combat sonnait sous les frondaisons. Dans la grande tente de commandement, Anne de Cassadet observait en retrait des comtes et des princes. Ils se querellaient puis s'acclamaient sur la meilleure des manières de prendre la forteresse. Elle sortit.


***


La baronne, entourée de sa chevalerie, patientait un peu plus au sud de l'host. Ses hommes ne seraient pas gênés lors des manoeuvres. Une troupe passa en courant non loin de leur campement. Gaudin, un chevalier glissa à Anne :

"- Ce sont les troupes de l'épée du Ponant. Ils partent vers la ville au Sud-Ouest.

- Dîtes à mon frère de les accompagner sir Gaudin."

Sous les clameurs de l'armée de Hautegarde, une bande d'archers, d'arbalétriers et de gardes de la ville se joignis aux forces qui partaient assaillir la seigneurie.


***


La garde de Pont-Sur-Mer, dirigée par Béranger observait de loin les redoutables béliers fracasser la caserne. Les murs grondaient et le bois craquait à chaque coup. Certains de ses hommes, assis dans l'herbe jouaient au carte. Béranger, jura puis se joignit à eux. Il pointa du doigt un adolescent qui tenait une arbalète :

"- Toi, regarde vers la route. Si quelqu'un vient du Nord tu m'appelles immédiatement compris ?".


***


Rien n'était venu défendre la ville. La baronne avait proposé de la vassaliser. Cela lui avait été refusé. Ses ordres étaient maintenant simples. Si les troupes de la vouivre d'argent sortaient, les compagnies de Hautegarde constitueraient la première vague à engloutir leurs contre-attaque. Anne n'avait pas eu accès à l'ensemble du plan. Et cela lui importait peu. Ce qui importait était l'instant.

Un ouestrien aux cheveux en bataille quitta le couvert d'un arbre et s'approcha, parlant dans un langage incompréhensible. Elle se pencha vers Gaudin :

"- L'homme demande votre main, indiqua le chevalier mettant la main sur le pommeau de son épée. Il vous trouve...

- Nous avons compris. Ignorez-le. Et tranchez la langue au premier qui parlera à l'ennemi pendant la bataille."


***


Anne entra dans la tente de commandement, presque vide. Elle observa une autre dispute en se calant contre un poteau qui soutenait la structure.


***


Les troupes de Hautegarde bivouaquaient dans la boue et l'argile. Cela faisait plusieurs heures que le front s'était tassé. Une bonne part de l'host était repartie. La fatigue tendait les nerfs. Soudain la clameur d'un assaut sur une tour au Sud s'éleva sur la forteresse retenti. Surprise de n'avoir reçu aucune confirmation des ordres et contrordres qui s'étaient succédés, Anne lança la première compagnie à l'attaque.


***


Dufour arriva en haut de l'échelle et tira un défenseur par dessus le parapet. Le malheureux fit une chute vertigineuse. L'instant d'après Dufour plongeait à son tour vers le sol. Les échelles et les grappins étaient rejettés comme on écope la mauvaise mer.

Une autre échelle fut installée. Et deux autres hommes s'ésquintèrent à l'ascension.


***


Un cavalier à la livrée sinople chevauchait à bride abbatue vers les troupes de Hautegarde. Il filat vers Anne et lui passa un papier roulé et scellé. La baronne fronça les sourcils :

"- Ils repartent tous, soupira Anne.

- Comment ça, ils repartent ?

- Lis, lâcha-t-elle sêchement en tendant le mot."

Béranger parcouru le billet et secoua la tête. Anne tira la bride de sa monture :

"- Cette farce a assez duré. Nous partons nous aussi. Ramène nos troupes à Hautegarde mon frère.

- Nous ne suivons pas les bannerets vers le Nord pour assaillir le château d'Ironhold ?

- Là ne sont pas les ordres de nostre liege, fit-elle en plissant le nez."

Anne éperonna sa monture, suivie de sa chevalerie, et lui sourit :

"- Voilà mon frère, nous sommes en paix."




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