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Photo du rédacteurCASADO Vincent

Chronique de la maison Madrange

1. Tout commença un matin d’été


Le ciel moutonnait un troupeau de nuages égarés. Aux derniers points froids de ce bleu laqué qui s'étirait de toute sa langueur des cimes aux pics, une poignée d'étoiles se laissait mourrir. Et cet entre-deux sidérant se vida de sa tranquillité pour laisser insectes et autres bourdonnant s’immiscer, par incises timides, dans ce nouveau jour. Loin au dessous des bestioles, l'air allègre du matin caressait la plaine.


La longue coulée d’herbe haute et fine aux reflets mauves s’écoulait telle une mer houleuse. Elle disputait la vue à une sombre forêt de feuillus. Leurs parrures ondulaient avec une régularité presque mécanique, semblable aux automates donnant vie aux décors de théâtres, lorsqu’il y avait encore des théâtres, avant. De prime abord leur vert paraissait impérial mais lorsque se soulevait les lourdes branches, un bleu profond attirait le regard.


Un choeur sauvage pris place sur scène : une dizaine de volatiles au plumage grisâtre se pressaient sur les branches mousseuses. D’une taille impressionnante, surement la moitié d’un veau, ils balançaient leurs becs ciselés de droite et de gauche. Leurs chants exubérant crissaient aux oreilles de l’auditoire qui se tenait maintenant coi. Tout ce qui était de taille comparable aux voraces, étant devenu proie, se terrait. Puis d’un cri, qui se rapprochait bien plus du rugissement, l’ensemble des chanteurs déploya ses ailes dont l’envergure atteignait deux hommes étendus de leur long. Les monstrueux volatiles arrachèrent à la forêt écorce lacérée et fragiles feuilles en s'extirpant avec délicatesse du couvert. Et la courbe du vent sur le paysage n’en fut aucunement troublée.


Camille Madrange cala ses mains en visière pour s’assurer de leur départ. C’était une femme d’une trentaine d’année à la chevelure foncée sous une capuche cerise. Elle portait un vieux pourpoint strié, croisé sur sa poitrine de lanières sombres. A son flanc une épée souple, ébréchée de tout son fils, tintait doucement. Une impatience toute humaine s’élevait derrière elle et d’un poing sèchement levé, elle intima le silence à l’assemblée. Désignant une petite dépression, elle ordonna le départ. Ayant ramassé quelques sacs de toile, la petite troupe se mit en branle.


Les hautes herbes cédèrent le pas à une étendue rocailleuse percée de fleurs violettes et de crevasses ombragées. Passant au travers de la pierraille, elle croisa quelques habitants : lézards de Borée aux ailes diaphanes et autres scarabés-taureaux dotés de cornes luisantes qui s’envolaient à leur rencontre. Passés le dédale, une vaste colline leur apparut. Elle descendait pesamment vers un petit hameau. Battu de vents, les rares épis qui n’avaient été couchés s’éparpillaient en bataille. On venait à leur rencontre.


C'était un petit homme fin au strabisme fâché. Il accourait en tenant ses chausses. Arrivé à quelques pas de Camille, il leva une main, le coude à demi-plié, paume ouverte vers elle. Seuls l'auriculaire et le l'annulaire étaient recourbés. Elle répondit du même geste. Sortant de sa besace une miche de pain, il lui tendit. L'acceptant avec grâce, elle en arracha un morceau avant de tendre le reste à son compagnon de route le plus près. Son regard retourna au petit homme.

"- Mon frère. Quelle nouvelle amènes-tu si vite qu'elles te rougissent les joues ?

- C'est le prieuré ma soeur, haletât-il. Un pigeon blanc. Le commandeur Mars. Il y a un message.

- Prends le temps de respirer mon frère. L'air que tu respires, tu ne le voles à personne."

Le frère marqua une pause, se tenant les reins devant la patience travaillée de Camille. Retrouvant son souffle, il reprit :

"- Il est revenu de ses lointains voyages et attend votre visite.

- Je vais me préparer. Vous autres, allez déposer ces sacs de graines dans la grange. Nous pourrons espérer un blé convenable. Et toi mon frère, demande aux augures d'interroger la Volonté. C'est l'autorisation et la protection que nous sollicitons. Si les déesses nous sont favorables, nous partirons ce soir."


1.2 - Comment Othon devînt maître de son domaine

Othon était un homme stupide. Non qu'il fut totalement idiot, mais il possédait ce trait de caractère commun à tous les hommes stupides de se croire plus malin ou plus fin que le reste de ses semblables. Ses raisonnements reposaient le plus souvent sur une succession de sophismes si longs qu'arrivé au terme on en avait oublié le commencement, parfois

perdu le fils et bien souvent oublié la question. Et dans ces cas, il lui semblait bien évident que la responsabilité de cette incompréhension reposait toute entière sur son auditoire qui, bien incapable de saisir la subtilité de ses cheminements, ne méritait pas qu'on revienne sur l'une ou l'autre partie de sa nébuleuse réflexion . Il montrait une pensée complexe et il aimait qu'on le rappela. Non qu'il prit volontairement de haut son entourage, mais la vacuité de son esprit ne laissait chez lui, pas de place au doute. Il était fier d'affirmer, quand bien même ce qu'il affirma était faux. Si on lui faisait remarquer, il s'offusquait intérieurement de l'impolitesse du contradicteur et assénait quelques vérités moralement reconnues comme inattaquables qu'il entremêlait de ses propres mots. Et il obtenait satisfaction, ayant peu à peu vidé la substance mais brillamment gardé la face.


Et de ce désagréable penchant pour l'inutile allongement de phrases en syntaxes absurdes, découlait un deuxième aspect qui faisait d'Othon un individu si banal. Il était persuadé d'avoir un destin, un grand destin. Mais que ce fussent par les dieux ou une force mystique, il ne reniait à aucun moment son propre investissement dans cette réussite, puisqu'il tenait à en être l'origine. Ainsi il attendait avec impatience qu'on mit sur sa route de quoi le mettre en valeur. Chaque matin en se levant, il passait en revu la liste des événements qui pourraient le tirer de son morose quotidien : combattre une menace inconnue et bien sûr la défaire, ce dont tout le monde lui serait gré, inventer un objet ou une idée qui aiderait ses prochains, prodiguant son humilité par sa générosité, ou tout simplement vider de sa bourse quelques écus en l'honneur des plus démunis - détestables parasites qui ne faisaient pas d'efforts de survie. Mais jamais aucun de ces fantasmes n'aboutissaient, si bien qu'Othon se couchait chaque soir avec une pointe de tristesse, égoïstement jouissive, d'une journée passée dans une absolue tranquillité. Rien de palpitant ne lui arrivait et il continuait à déplacer des planches, à empiler des outils, à marteler les clous et à clouter le reste.


A force d’intransigeance, on finit par dire de lui était taillé d'un seul bois et avait le compas dans l’œil. Et cela le gonflait d'orgueil. S'il pouvait estimer judicieusement la verticalité d'un plan, la notion de mesure lui échappait totalement et il préférait des choix expéditifs et tangibles à de souples circonvolutions. Le bon sens voulant que pour résoudre un épineux problème il suffisait d'arracher et les épines et le problème. Ainsi, sans avoir aucunement la main verte, il affectionnait particulièrement les images florales, lorsque de la façon la plus magnanime il rendait la justice entre pairs. Souvent il s'agissait d'histoires d'insultes et de bastonnades. Dans un soucis d'équité, il prenait donc à tous les fautifs d'égale manière pour s'enrichir lui-même. Et jamais on ne revenait sur ses jugements, même en matière de goût vestimentaire. Cela, par ailleurs, donna l'étrange mode de tâcher de boue ses chausses jusqu'à mi-mollet les jours de grandes pluies.


Afin de signifier son omnipotence juridique, il commandita, dans un seul bois toujours, à de réputés artisans une embrasure fortement décorée, qu'il fit monter ainsi à son entrée la plus exposée. Le chaland se pressait pour observer et discuter de cette pièce maîtresse d'un lieu si reculé. Et Othon, sortant, alpaguait en affection qui le voulait écouter. Il entraînait alors à l'intérieur les badauds qu'il aspergeait de son esprit sur une ribambelle de questionnements qu'on lui soumit ou qu'il avança. Et chose fascinante, les habitants se mirent à revenir. Ils aimaient écouter cette voix répétitive et rassurante. Les journées passaient avec moins de monotonie en cette compagnie.


C'est ainsi qu'Othon, parce qu'il parlait fort, n'assumant jamais avoir totalement tord, grâce à une porte un peu plus jolie que les autres, était devenu maître de son domaine. Finalement, lui ou un autre, il fallait quelqu'un pour prendre les décisions. Et après tout, il n'était ni méchant, ni mauvais. Il était juste un homme stupide que presque tout le monde appréciait.



2. Le mur du village-qui-allait-devenir-une-ville



Homme rondement fier de son avancée, passé maître à maire, Othon tournait la page du fiasco de Transitoria pour aimer la difficile simplicité de la production industrielle. Il est évident que la pierre n'était pas une carrière d'avenir. Il était évident cependant, quoiqu'en dise le savant entourage qui était venu le rejoindre, que le fer était une filière dont la prospérité ne pouvait être remise en doute. Non que personne n'en fit, ni que ce personne ne produisit mieux que ce qu'Othon ne pouvait espérer réaliser un jour. Mais bien parce que le fer était facile à produire et qu'il vidait la tête. Prenez un minerai de n'importe quelle qualité, prenez un charbon de n'importe quelle qualité, prenez un métallurgiste, quel que soit son expérience et le fer se vendra. Othon roula son visage dans la bassine d'eau qui lui servait à dégriser. Il se redressa et pressa fort une narine, puis l'autre, lâcha la morve dans l'eau fraîche et se décida qu'aujourd'hui serait un grand jour.


Il faisait beau, et le soleil était venu lui rappeler qui était l'homme fort du village-qui-allait-devenir-une-ville. Il fallait imprimer ce jour dans les esprits, et pas qu'un peu. Il se para de ses plus beaux atours : un grand chapeau assorti à son pourpoint. Et le voici, dix minutes ensuite sur la grande place du marché, rameutant les badauds. Agitant les bras avec force verbes, enchaînant les mots avec la maîtrise savante et sophistiquée de la rhétorique il conclu que "toutes les grandes cités où l'humanité se veut grande et belle lorsqu'elle se réalisé, se doivent d'être cerclées de murs. Mais attention ! Pas des murs pour se protéger des autres, nous ne sommes pas de ceux qui ont peur du noir; pas des murs qui coupent les civilisations fraternelles en deux, toutes les tommes du monde sont faites du même fromage (une phrase née de son indubitable génie); mais bien des murs pour se rappeler à quel point nous sommes fragiles, petits, et humbles, et que c'est à la taille du mur qu'on évalue la grandeur d'une maison capable de tenir les âges!" Il faut bien avouer que la foule ne se laissa emporter par l’enthousiasme qu'après de longues minutes matinales et que ses quelques plus fervents soutients et amis de longue date aient lancé vigoureusement les premières acclamations. Il est très important de guider les foules lorsqu'elles ne savent pas quand applaudir. (Regardez toujours qui donne le la des rassemblements publics. Vous pouvez être sûr qu'il est très proche de l'orateur, foi de menteur).


Pour des raisons pratiques, la construction ne commencerait pas avant que les sommes nécessaires ne soient rassemblées, mais peu importait, Othon avait gagner la première étape : celle des coeurs ou en tout cas, de l'absence de résistance face à son projet grandiose. Et il savait que la mise en place d'une taxe de passage amortirait les frais et ouvrirait d'autres opportunités. Il songea même à nommer modestement ce mur Othon ou mur d'Othon, ou le mur du maire. Il se persuada que le peuple du village-qui-allait-devenir-une-ville le reconnaîtrait bien assez tôt à sa grandeur.


Et le soir, Othon se coucha tard, paré de sa splendeur, il avait tiré un drap de son lit et s'en était couvert, s'admirant Pompée. Il avait accompli quelque chose de grande ce jour. Et les lendemains lui rappelleraient quel force de la nature il était lorsqu'il soulevait la volonté de tout un peuple.



3. Et Ohton s’emmerde vraiment



Les cents pas, peut-être cent-dix. "Avez-vous pensé à remettre les ventes?" Bien sûr qu'il y a pensé. "Et les achats sont-ils organisés?" Ils le sont depuis les jours fastes. Tout est consigné dans un livre de compte. Près de cinq cent ordres de ventes chaque jours. Un vrai travail d'historien dirait-il. Un travail d'Allemand lui répondrait-on. Mais personne n'a inventé les lunettes ni la charrue avant les boeufs.


Cent-douze alors. Le rendement est chiche. Pour tout avouer, il n'y a rien d'autre à faire qu'attendre. Plus de production ne changera pas l’absorption. Diversifier baissera les recettes. Par la fenêtre on fait une, non deux portes en bois. A l'autre bout, le comte a fini les murs, rasé une forêt. "Franchement, on s'emmerde un peu non?" L'autre fait la moue. Alors il se projette. Prophète mais sans talent et idiot. Car Othon était un homme idiot ne l'oublions pas.


Cent-dix-neuf. "Je ne vois pas l’intérêt d'aller plus loin. Il n'y a pas grand chose de plus à faire". Des maisons, des maisons, des maisons, des maisons, le même bâtiment, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois. Et un autre encore quand les maisons se remplissent. "Parfois j'ai l'impression qu'un âne pourrait faire mon travail".


Cent-vingt-cinq. "Et qu'est-ce que ça geint. A croire que le français est devenu une langue de pleurnicheries". Une vieille certitude de ce que doit être la justice : absolue, impartiale, humaine, empyréenne. Aujourd'hui la mode est à la force, à la virilité, aux hommes forts et beaux. Des décisions prises dans d'autres langues vont s'imposer. La domination va s'étendre et durer et elle se pense déjà en race.


Cent-seize. "Et l'autre là! qui attend vainement la providence". Pas de remontée en effet. Avant, quelques bouts de terre, du temps et de l'huile de coude. Avec de la sueur on parvenait à de grandes choses. Parce qu'il en fallait pour gérer trente domaines, et parfois plus. C'était le bon temps. Mais c'est fini ça. On a réduit le potentiel humain, limité, fermé. Pouf la volonté, opiniâtreté, l'organisation. Maintenant il faut sucer la moitié d'un continent et prier pour que l'autre ne vous remarque pas. Et avec ça, on arrive à peine à garder la moitié de sa trésorerie. La nostalgie se biaise toujours.



Quatre-vingt-dix-neuf. C'est la fin d'un âge. Les vieux se rappellent de leur jeunesses en rêvant d'un passé révolu. Les jeunes s'enlisent avec candeur dans l'instant. Des forêts naissent, les hommes meurent. Et Othon s'emmerde vraiment.



Trous de mémoire


Une salle de bois sombre. Des murs au milieu d'une rivière et puis autour le calme du grillon la nuit.

*

*

*

J'ai oublié, dit-il trop tôt, le sens des mots.

Car je la vois trop tard quand elle part sur un autre bateau.

D'abord avec les larmes et puis après avec son coeur.

Les lettres n'ont plus de charmes. Elles se déchirent et elles se brûlent,

Tout en douceur.

En souffrances aussi et la nocturne catharsis navigue au loin.

Sans attendre les marins restés aux ports à vider, ce qui se vide.

*

Mais toujours j'aimerai les prunes d'automnes. L'acidité ronge ma bouche.

La vie est belle quand tu quittes ma couche.

Aux maux incessants d'une cécité accrue, Oedype m'en soit témoin,

L'histoire est vraiment belle quand personne ne survit à la fin.

*

Dans un jardin désespérées attendent la connaissance.

De leurs beautés diaphanes, une dissonance sans cris sous la brutalité.

Deux mains et la finesse des coups tracent les plus beaux sillons,

Sur la peau éclatée de leurs désillusions.

*

Martyres étranges aux pensées-pensées agitées, soumises à mes désirs.

Jouets hécatombes qui s'enflamment dans mes soupirs et au-delà,

Nous nous sommes aimés ensemble. Alors mon esprit se fait boucher.

Revienne le printemps,

Car la beauté de nos violences est un éternel recommencement.

*

*

*

Et dans ton sang, Amour, je retrouve le sens des mots.



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