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Photo du rédacteurCASADO Vincent

Chroniques de la maison Juste


Avant le début


A l’antépénultième, le soleil allant poindre, la marée renvoyait aux sables algues et mousses. Délestée de son fardeau, la mer reculait longtemps, laissant toute liberté pour la cueillette. Venaient ainsi, tôt le matin, tous ceux qui possédaient, ailes, pattes ou jambes. Les âmes romanesques trouvaient la curée triste et l'éternelle et la mort fascinante. Les autres savaient différencier de la palourde, l’huître plate. Pourtant le sang ne se répandait que sur les rochers coupant déconseillés aux enfants. Ceux-là n'écoutaient pas. Ils cherchaient l'hydre ou le myrmidon. Et souvent ils trouvaient. Ayant disputé les trésors des cailloux à tous les animaux ni trop poilus, ni trop gros, ils se fâchaient pour une part du butin un peu plus fascinante qu'une autre. De là naissaient les plus beaux désamours et les plus belles rancœurs, fugaces pourtant. Car comment retenir sa haine quand on ne se rappelle plus de ce qui fut fait la veille.


A la pénultième, le temps marchait droit, poussé des mers par le suroît en direction de la plage. Et les feuilles, la poussière ainsi que toutes choses plus légères lesunes que lesautres se frayaient un chemin discret vers une hauteur plus atteignable que la suivante. Les oiseaux dormaient sous l’apaisante chaleur. Les petits reptiles, ceux-là même dont il est appréciable d'arracher la queue, y trouvaient la paix propice à ces siestes bercées de chaleur. Et tout ce petit monde s'égayait aux pas battant la terre de ceux qui vivaient là. Dans de longs champs mesquins, l'homme regardait pousser la charrue et reposer la terre en suçotant un morceau de fromage, le même qu'hier. Puis, le revers d'une manche servait à éponger, à se moucher, à entreposer, à dépoussiérer - on sous-estime trop souvent l'utilité d'une manche - et à protéger la peau des rayons. Las des labeurs qui poussent à des larmes toujours retenues que les âmes romantiques firent idéal, il fourbissait ses membres, laissait là le soc, et guidait les boeufs. Et au retour, il saluait en chemin l'ami qui en une quasi-existence lui avait volé successivement l'orichalque et la Vénus de ces eaux. Mais à quoi bon se souvenir quand la pénultième est pareille à l'antépénultième.


Enfin les flammes meurent puis la nuit pour que tout recommence. Car le noir n'existe pas ici.


Goöttenlieb - vers 1500



0.2 - La pronyxienne


Tout commence par une vibration. Une onde provenant des confins. Émise de l'effondrement des premiers nuages titanesques. Elle traverse tout. Et dans ce tout, un petit grain de matière; filant, perdu au milieu du vide, chutant depuis sa propre éternité. Depuis moins longtemps il tombe entre une grande étendue plate et l'immensité sidérale. La vitesse, exaltante, invisible. Et soudain, contre toute probabilité, ou plus exactement, advenant parce que la plus petite probabilité ne résiste pas à l’éternité, le choc. La rencontre, deux minuscules monstres cosmiques se percutent à des hauteurs inaccessibles. N'ayant jamais rien connu de tel, la course est brisée. Des trajectoires millénaires, parfaites, rompues. L'un et l'autre ralentis. Et le noir et le vide s'évanouissent. Une couleur apparaît, diffuse. La chaleur monte. Quelque chose oppose une résistance, immanente. Et voilà la chaîne des splendeurs, l'épiderme s’arrache, le derme fond, se tord. Une vibration abominable brise l'intime dans une formidable cacophonie, d’abord un murmure puis de plus en plus assourdissante. Et la lumière, deux lumières, deux minuscules grains qui chutent.


***


Beaudrieux était, et cela lui semblait déjà suffisant. S’il était resté un peu plus tard. S’il était parti un peu plus tôt. Mais il était venu à cet instant. S’il avait entendu le craquement de la brindille sous le pas du rongeur effrayé ou le frôlement d’aile de la chouette effraie qui fondait sur lui. S’il avait eu peur de l’abîme qui s’ouvrait à deux pas du rocher où il était assis. Mais les vagues s’écrasant sur la falaise jouaient une apaisante berceuse. Celle-là même qu’il recherchait chaque soir au sortir de ses administrations quotidiennes du domaine familial. Il s’asseyait là, sur un promontoire qui dominait ses terres.


Ici, il pouvait voir Lyr, un petit village entouré de champs. A cette heure, une poignée de bougies vacillait aux fenêtres des jeans de biens, des jeans aisés, et encore moins de torches des braves pointillant la ville. Sur la plage, quelques embarcations dormaient, couchées sur le flanc. Il se détourna de la maigreur des temps pour observer les cieux.


Et cette nuit là, à ce moment exact deux sillons lumineux strièrent le ciel dans un hurlement effroyable. Mille stryges s'arrachaient les ailes à des distances qui paraissent infiniment incommensurable à l’être humain assis qui, seul, les apperçu. Si grande qu’il n’entendait pas la douleur des phares agonisants. Il était simplement sous le charme de ces deux points qui filaient en silence sur la voûte céleste en direction des bords du monde. Il lui sembla alors que deux anges s'affrontaient à mort sur la ligne du firmament. Ils disparurent presque aussi rapidement qu’ils lui étaient apparus.


Beaudrieux était un homme convaincu de sa propre rationalité. Ce qu’il voyait, il le croyait aussi sûrement que la terre était carrée et plate, aussi évident que deux piliers soutenaient la voûte céleste -qui sinon s'effondreraient comme le toit d’un palais sans soutient- le royaume des Cieux où caracolait au jour l’Astre solaire. Il appuyait ses raisonnements sur des connaissances aussi vraies que quatre éléments en des quantités très petites, invisibles à l’oeil nu, composent chaque chose qui l’entouraient. Il était de ces hommes qu’on aurait pu appeler érudit s’ils avaient su lire, mais qui avaient simplement, par les enseignements d’un précepteur bien choisi enrichi leur conception du monde. Beaudrieux ne savait d'ailleurs pas lire, tout au plus déchiffrer. Sa maîtrise lacunaire lui renvoyait une telle fatigue qu’il abandonnait rapidement toute tentative. Après tout, si certains savaient l’art de la lecture et de l’ecriture, lui était là pour diriger. Ce monde avait un ordre, chacun avait une place.


La vérité qui se dégageait de cette observation était donc la suivante : deux anges lui étaient apparus en cette nuit. Et cela avait une signification. Les signes mort, terreur, famine, peste, guerre, conquête, naissance, autant de possibles que le cerveau d’un homme initié aux arcanes de l’astromancie, ou ayant au moins assisté à une discussion sur le sujet pouvait envisager. Et voilà Beaudrieux courrant.



Les congères de mai



Phars entra et se débarrassa de son manteau sur la première chaise. Il se rendit à la desserte et retira du pot un peu de tabac. Il le roula entre de minces feuilles de papier et craqua un allumette. Dans la demi-pénombre, la braise illumina le fond de son unique oeil gris. Il resta un peu adossé près de la fenêtre, évoluant dans les volutes de fumées à ausculter la nuit. De belles fleurs blanches s'étalaient dehors. Elle ne l'avait pas écouter.


L'odeur forte imprégna immédiatement ses vêtements. Elle laissait une présence âcre qui le suivait partout et parfois longuement. Il marchait d'une pièce à l'autre ou bien même dans la rue et les gens savaient alors que Phars était passé là. Un tabac singulier que fumait ce soir un homme aux cheveux blanchis et à la peau plissée. Elle avait préféré des avis moins mûrs.


Phars se dégagea de l'emprise nocturne. Il devait travailler encore un peu ce soir. Le bois craqua à peine sous ses pas. Chacune de ses exhalaisons parfumaient les murs, ses murs. Une petite tête aux cheveux raides patientaient dans la pièce suivante, au bas des escaliers. Il ne lui adressa aucune attention, même lorsque celle-ci se courba pour le saluer. Il ignora se petit nez dont il savait qu'il se plisserait après son passage. Il n'était pas d'humeur. Il gravit, marche après marche le chemin jusqu'à ce qui lui tenait lieu de bureau. Il se cala sur sa chaise et fit signe à la tête de lui retirer ses grandes bottes. Ces dernières refusèrent le combat et s’ôtèrent sans difficulté. Il ordonna une boisson chaude qui ne fut pas un thé menthe-cerise-kiwi et s'enquit de lettres et de papiers qu'il avait fait chercher. Il était le Phars et aussi grand-père par la mère de la baronne.


Son oeil parcouru le bureau. Une plume, des feuillets remplis, des documents qui n'étaient pas à leurs places, une petite horloge cassée, des pages blanches, des écussons. Et comme chaque soir, il continua son oeuvre de la veille, retracer son histoire. Celle du jour d'abord, celle de ses aïeux ensuite. Il trompait le temps et omettait souvent sur ses journées. Pour le passé qu'il enjolivait, il se mentait surtout à lui-même puisque plus personne de sa race ne savait lire. La baronne avait des gens pour cela. Il fronça les sourcils.


Un café noir lui fut porté, mais pas de courrier. La tête disparut par habitude. Le vieux cyclope avait une réelle tendresse pour elle. La même affection qu'il portait à ses décors fixes et chargés d'histoire. Elle était entrée dans sa vie, avec maladresse. Et peu à peu, les réprimandes de l'apprentissages avait cédées aux silences agréables. Et puis les regards étaient devenus de la prévenance. Il chassa sa nostalgie et se pencha pour tracer avec des lignes tremblantes mais certaines le récit de sa journée.


Ses témoignages se rappelaient plus qu'il ne relataient. Les compagnons d'avant lui parlaient dans ses souvenirs comme s'ils n'était pas partis. Sa femme se fâchait toujours avec cette folle arrogance qui lui brûlait l'âme. Sa fille apprenait avec réticence la lecture d'anciens grimoires bien qu'elle préférait les armoiries. Tout cela il le racontait encore parce qu'il l'avait vécu aujourd'hui, le long de la plage, en remontant le sentier.


A la fin de sa promenade, sa petite-fille, Ulphine l'avait visité. Il hésita. Elle avait amené un cadeau, une petite bourse de poudre noire qu'elle avait enflammé devant l'oeil illuminé de Phars, et avait pris de ses nouvelles. Ils s'étaient amusés un peu jusqu'à ce que la bourse soit vide, puis étaient passés à table. Ils avaient devisé du temps, de la baronnie, des affaires courantes. Elle avait également malparlé de son cousin. Il ne l'avait pas accablé car son cousin était sincèrement idiot, mais il avait tout de même pris la défense de sa race comme il le devait. Et lorsqu'il avait tenté de l'instruire de ses ancêtres, de son sang, de leurs origines, elle avait évité avec agilité toutes ces histoires pour revenir à ses affaires coutumières.


Phras raya la dernière phrase et reprit. Elle avait adoré écouter les histoires de ceux de sa race qui étaient là avant elle, avant cette terre, son héritage. Elle était repartie plus tard. Il toussa et se bascula au fond de son siège. Sa paupière s’alourdit et il ne pu pas travailler plus.


A une heure avancée, alors que la chandelle s'était éteinte, une petite tête passa l'embrasure de la porte. Elle recouvrit Phras de l'ample couverture ramenée à cette effet, calant au mieux les bords pour éviter les fraîcheurs. satisfaite de son travail, elle offrit un regard attendri au cyclope. Puis elle pris quelques unes des pièces d'argent oubliées près de la cassette. Assez pour être rassasiée, trop peu pour que l'absence soit remarquée. La tête se retira heureuse et Phars dormit jusqu'au petit matin.



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Non utilisés


Les habitants, si l'on peut appeler habitant des gens qui se lèvent tôt le matin, parcourent plusieurs lieues pour effectuer un travail harassant et désagréable mais toujours plein de prestige, avant de finalement revenir tard après le coucher du soleil, dormant parfois en chemin; centraient leurs attentes sur la faim, la foi et bien sûr l'espoir que leur vie passée soit un peu moins désagréable le lendemain que la veille. Si cela n'advenait pas et cela arrivait souvent, c'est très probablement qu'ils le méritaient. Après tout, ils parlaient un sous-idiome même pas bon à être traduit. Ce qui d'ailleurs n'advint pas. Le devenir de ces borborygmes est d'être absorbé et d'enrichir des matrices plus évoluées de la pensée pour devenir une liste de mots appréciés pour leur particularisme ou leur euphonique exotisme. Pour convenir à la suite de leurs mots, ils portaient des tenues simples, de tissus râpeux où pouvait figurer parfois quelques symboles de l'[I]ärgiles[/I].


Car ces habitants vivaient depuis peu dans la coupe d'un certain Moloss, qui se faisait appeler "le Juste", moins parce qu'il l'était que parce qu'on lui céda le titre à la suite d'un délictueux jugement. Ce même acte de justice qui l'avait rendu maître de ce coin de sable, d'argile, de bois et de pierre. Et donc Moloss le Juste dirigeait ces terres d'une poigne moite et d'un air assuré. Et comme tous les grands gouverneur de terres introuvables sur les cartes, il avait commencé par faire tracer des routes. Tous les hommes savent bien construire des logements à partir de n'importe quoi pour se protéger. Mais lui, il avait de plus ambitieuses ambitions.

Ainsi fut le commencement du domaine de Lyr.


“- Vous avez fait du Grec, dit-il étonné ?

- Malheureusement. Je voulais faire du cheval mais mes parents étaient trop pauvres.”

Les mouettes y jouaient, car les mouettes jouent.



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