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Photo du rédacteurCASADO Vincent

Chroniques - Ferdinand de Cassadet

Prélude - Pluie sur le Cressac


Depuis le début de l'après-midi, un crachin continu irradiait le Cressac. A travers d'épais nuages, une lumière blanchâtre agressive pleuvait sur les toits de tuiles et d'ardoises. Surmontant les habitations, se découpait sur la crasse de l'océan les murs de pierres que dame Blanche de Cassadet pressait à faire monter. Alors que ses gens confondaient sur leur peau la sueur, le sel et la pluie, celle-ci les regardait depuis la fenêtre de son château. Le vent en faisait craquer le bois et les vitres. L'humidité s'y infiltrait de toutes parts. Et le sel, chaque chose y avait ce goût salé du bivouac entre les dunes. Lasse elle jeta un dernier regard aux ouvriers qu'elle avait arrachés à leurs occupations et retourna à son siège.

La lueur violente du dehors s'épuisait rapidement en passant les carreaux de sorte qu'on distinguait nettement le centre de la pièce mais qu'il était aisé de se fondre aux points les plus éloigné. Sa robe achetée à un marchand du Nord s'arrêtait à mis-cuisse laissant place à une armure de mailles et de plaque inhérente à ses fonctions guerrières. Sa chaise était formée de deux bois croisés sculptés que recouvrait au séant une peau de mouton. Le métal cliqueta quand elle s'assit. Elle fit signe à ses convives de s'approcher. Dans la petite assemblée se tenait sa soeur, Anne de Cassadet, semblable en robe et armure, leur frère Ferdinand de Cassadet.

Souriant sous sa barbe hirsute, Ferdinand venait d'entamer sa trentième année quand Blanche l'avait appelé à elle. En effet, conformément à la tradition, chaque mâle de la ligné de la Première atteignant cet âge se réalise pleinement à travers le parcours du monde. Durant ce rite, celui-ci met ses bras au service de nobles causes et accepte les quêtes que le destin lui présente. Parmi les chevaliers les plus notables se détachaient Jean de Cassadet qui nû combattit les lions dans les arènes. Mais aussi Fredrieg qui mena deux royaumes à la paix. Et le plus ancien, Renaud qui vola son unique oeuf au dragon Gwilgaadesh mais disparu ensuite. Loin d'être un guerrier accompli, Ferdinand se complaisait dans la paresse. C'était un homme joyeux que partout son ventre précédait. S'il se défendait aux arts de la guerres, il leurs préférait l'alcool pour calmer les coeurs. Plus tôt dans la journée, il avait défait le vassal de sa soeur Luttin Holon qui depuis restait allongé sous une table. Et malgré la tradition, il avait rebuté à préparer ce voyage, ayant estimé qu'à force d'attendre, il l'éviterait. Or, ce vendredi trois mars, il se tenait debout dans la lumière tranchante, face à sa soeur. Elle tourna ses yeux de jais vers lui et pris un ton solennel.

"- Ferdinand, Frère, ce jour votre voyage s'ouvre depuis le Cressac. Vous partirez de la pierre Première. Avez-vous une idée de votre première destination ?

- Je pensais retourner au Fray, essaya-t-il avec son habituel sourire. Une jeune fermière a perdu ses poules et requiert mon aide.

- Frère, vous devriez commencer par chercher du courage, soupira Blanche qui n'appréciait pas le caractère déplacé de son frère. Mais, puisque votre personne rompt avec les traditionnelles aptitudes héroïques de notre lignée, le chevalier Rossi vous accompagnera.

- Je suis plus surprenant que vous ne croyez ma dame, murmura Ferdinand.

- Allez Frère, couvrez notre maison de gloire. Vous êtes désormais un chevalier de la quête. Discipline, rigueur, force et honneur, acheva-t-elle fatiguée."

Avec son ineffaçable sourire, Ferdinand se retira. Il descendit l'escalier de bois, glissa deux fois. Puis marcha jusqu'à la pierre Première. Après un rituel sommaire, il enfourcha son destrier. Rossi l'attendait sur la place du Cressac. Depuis la fenêtre du château, Anne les regarda s'élancer sur le pont de bois vermoulus qui liait l'île au continent. Elle se tourna vers sa sœur :

"- Est-ce prudent de laisser notre frère porter l'image notre maison sur toutes les terres du monde ? Il y va de notre honneur.

- Croyez-moi Sœur, même s'ils dépassent le Fray, ces deux-là n'iront pas bien loin. "



Chapitre Premier – Le bois aux sangliers (partie 1)


La nuit avançait et les deux cavaliers poussèrent leur monture. L'air portait la fraîcheur de la mer mais le goût du sel avait disparu depuis longtemps. L'humidité marine avait fait place à une moiteur boisée. Ils s'étaient enfoncé dans les terres entre collines et bosquets et remontaient depuis quelques heures le Dôlne. Un fleuve dont les eaux fourbes avaient emporté un de leurs sacs de provisions alors qu'ils le traversaient. Le premier cavalier, dont le visage était caché par un large heaume, se nommait Rossi. Il accompagnait Ferdinand de Cassadet devenu nouvellement chevalier de la quête. Tous deux devaient maintenant courir les chemins du monde. Rossi, bien qu'étant le meilleur chevalier des terres du Cressac n'avait jamais participé à aucune bataille ni fait d'arme. Pour tout dire, il n'était jamais sorti de la seigneurie. Il excellait à l'entraînement, voilà pourquoi il avait été désigné pour accompagner le Cassadet. Quant à ce dernier, il était mieux taillé pour les compétitions de banquets que pour la bataille. Lui non plus n'avait jusqu'à ce soir là passé les rives du Dôlne.

La nuit les déposa aux portes d'un petit village délabré, lové dans un méandre du fleuve. Les toits de bois et de pailles paraissaient usés par l'inactivité. Affaissées avec le temps, les quelques huttes ressemblaient aux immenses tas de foin qui égaient les champs après les récoltes. Plissant les yeux et malgré l'obscurité grandissante, Ferdinand y distingua plusieurs formes hagardes. Lorsqu'ils arrivèrent au centre de cet amas de taudis, un homme mûr sous une capuche dont la bouche tombait de désespoir les accueillis avec mollesse.

"- M'sires 'siu à l'chef-yieu d'gars Arthus.

Se tournant vers Rossi, Ferdinand l'interrogea :

- Vous y entendez un mot?

- Pas moins que vous seigneur, répondit Rossi, mais Artus est le nom d'un sieur à l'Est du Cressac.

- Est-ce que tu peux nous mener à ton chef, reprit Ferdinand à l'adresse du chaland en détachant chaque syllabe.

- Les vieux murs nouérs coumm' l'esprit du bourg, a' l'moucharde à vot' chauss's. Souiv' moué, conclu l'encapuchonné accompagnant ses mots d'un geste de la main.

- Il nous invite à le suivre, cru bon de préciser Rossi devant l'air dubitatif de Ferdinand."

L'homme guida les deux compagnons qui étaient restés sur leur chevaux jusqu'à un petit atelier un peu à l'écart des huttes. Ayant réalisé que les chevaliers ne comprenaient pas ses paroles, il pointa la porte avec son bâton. Ferdinand et Rossi mirent pied à terre et s'avancèrent.

Décidé à s'annoncer de la plus virile des façons, Ferdinand frappa vigoureusement à la porte. Mais au deuxième coup celle-ci bascula vers l'arrière et s'écrasa avec un fracas avant qu'il n'ait pu la rattraper. A l'évidence, l'absence de gonds avait mené les propriétaires à simplement la poser sur l'encadrure de la porte. Les bras tendus et le corps incliné vers l'avant, Ferdinand se retrouva dans une position inconfortable quand l'unique occupant des lieux se retrouva face à lui. Il avait la moustache fournie et des cheveux désordonnés. Alors que le chevalier se redressait lentement, l'inconnu le toisa de bas en haut.

" - Voilà un façon de s'annoncer plutôt inattendue, commença le moustachu. Mais ce blason sur votre écu. Vous êtes du Cressac. C'est loin d'ici. Avant de parler, entrez et ayez l'obligeance de redresser la porte, il fait froid ce soir.

- A l'évidence vous êtes le maître des lieux, répondit Ferdinand en enjambant la porte, suivi de Rossi. Je suis de la maison Cassadet et je viens à vous dans l'espoir de trouver la gloire en accourant à votre aide.

- Ainsi, vous êtes chevalier de la quête, fit l'homme en tirant sur sa moustache alors que Rossi redressait à grand peine la porte de hêtre. Je suis Jeammes Artus maitre de ces terres, et il se pourrait que nous ayons besoin de vos services."

Dénichant une bouteille au contenu indéfinissable, le sieur dépensa une partie de la nuit à excuser l'état du village. Il raconta comment, deux mois auparavant, il avait perdu plusieurs de ses gens partis couper du bois dans la forêt voisine. Après une dizaine de jours de recherches infructueuses où il s'était enfoncé plus profondément les bois, il avait finit par découvrir les os éclatés des infortunés. La bête qui les avait dévoré était à l'évidence gigantesque. Les empreintes sur le sol était si large et profonde qu'il n'avait eu aucune peine à les suivre. Il n'avait pas tardé pas à trouver le prédateur. C'était un sanglier énorme. Doté de six défenses imposante, il lui avait semblé peser dans les 700 kilos. Dérangé alors qu'il retournait la terre, le monstre s'était tourné vers l'intrus et avait claqué une fois des mâchoires. Deux fois, et brutalement, il avait chargé le pauvre Jeammus. La terre avait tremblé sous le martellement de pattes. Le sieur avait eu à peine le temps de se jeter côté qu'il courait à perdre haleine jusqu'au village. Il s'était alors enfermé dans l'atelier. Depuis le monstre terrorisait les villageois. Ceux-ci n'osaient aller en forêt et leur existence devenait toujours plus misérable.

La suite se perdit dans l'alcool et la fatigue. Mais ravis que sa première aventure commence, et s'étant assuré l'assistance de Rossi, Ferdinand de Cassadet fit la promesse à Jeammes Artus qu'il tuerait pour eux la bête noire.



Chapitre Premier - Le bois aux sangliers (partie2)


Le tronc de l'arbre souleva le sol dans un rugissement massif. Les tourbillons de copeaux et de flocons qu'il engendra obstruèrent la vue de Ferdinand. Un court silence puis deux claquements précédèrent le martèlement du sol. Un impact sourd pulvérisa le bouclier, compressant bras et torse. Les tissus se déchirèrent et la plaque pectorale se bomba. Le chevalier eu le souffle bloqué alors qu'il était propulsé vers l’arrière. On cria son nom. Un appel irréel et lointain qui s’effaça avec le choc. Le corps creusa le tapis neigeux. Il ne remua plus.

Le ciel embrassait depuis longtemps la lune quand les nuages voilèrent leur amour. Parfois l'assemblée opaque se plissait d'un espace qui laissait entrevoir un morceau de corps céleste, mais cela ne durait pas. Si elle n'avait été occupé à regarder le ballet de l’éther, l'agora des pudiques n'aurait sans doute pas laissé couler la lumière pâle à travers elle. Cascadant entre les importuns, les ondes blanches arrosaient les cimes feuillues de la vallée en contrebas. Quelques raies plus impétueuses se répendaient à travers les creux de la forteresse végétale. Dans une clairière, elles avaient allongé timidement leurs doigts vifs le long d'une armure à demi-enseveli. Alors qu'elles affleuraient enfin le casque, une aspiration violente troubla le silence du bois.

Écrasé par le poids de la lumière, Ferdinand toussa. Il ramena son bras à sa poitrine. Ses gants de cuir avaient durci et le froid mordait ses extrémités. Ferdinand toussa de nouveau. Un gémissement timide perça sur sa gauche. Il héla péniblement: "Rossi ? Foutre diable, réponds Rossi !". Pour réponse, deux jurons crissèrent dans la neige. Puis le cliquètement de la maille. Le chevalier Rossi se traîna jusqu'à sa hauteur :

"- Vous allez bien seigneur, s'enquit-il ?

- Je crois que je sais désormais ce qu'a ressenti la porte de chêne de Montberçont lorsque ma grand-mère mit la ville à sac, grogna Ferdinand. Ô dieux immortels qui riez de nos os, choquez ma graisse vous êtes beaux.

- Vous riez à l'ordinaire, rassura Rossi. Malgré l'état de vos vêtements et de votre armure.

- Je fais de la poésie et tu chicanes. Évidemment que le porc n'allait pas me tuer.

- Tout juste. Mais rassurez-vous j'aurai raconté à votre soeur la splendeur du combat, ironisa le chevalier.

- Tant que tu n'oublies pas d'ajouter un vieillard, je veux bien te laisser raconter n'importe quoi. Allons, aide moi à me relever, ordonna le seigneur".

Rossi glissa sa main dans le dos de son suzerain, entre les omoplates, et poussa. Malgré le poids de l'armure, il réussi à mettre Ferdinand sur son assiette. Puis, tournant son dos sur la neige, il posa ses pieds de part et d'autre des lombaires du seigneur avant d'étirer progressivement ses jambes. Son visage s'empourpra sous l'effort colossal. La peine suffit à remonter Ferdinand vers une digne posture. Rossi accepta la main tendue et bientôt tous deux traînaient leurs membres à travers les sous bois.


Las d'une pénible marche où Rossi tempérait l'humeur de Ferdinand, ils débouchèrent sur la clairière qu'ils cherchaient. Le raclement de la jument rassura les deux hommes. Leur montures n'avaient pas souffert du froid mais la neige éventrée indiquait leurs recherches désespéré d'herbe ou de tiges. La terre s'était mélangée à l'eau en une étendue crasse. Alors qu'ils gagnaient les destriers, il remarquèrent une troisième bête un peu plus avant. A son côté un énorme sac trempait le sol ravagé d'une flaque vermeille virant à la maronnasse. Depuis l'ombre une voix les frappa :

"- Seigneur Ferdinand, chevalier Rossi.

- Morte entrailles, qui es-tu, tempêta le seigneur ? "

Sortant de l'ombre, une armure éclatante surmontée d'un panache blanc fendit la neige à leur encontre.

"- Je suis le chevalier Laurent, se présenta l'armure. Ici à la demande de la suzeraine des Cressac.

- Tu me donnes le sentiment d'être aussi large que démuni, rigola Ferdinand. Pourquoi vous?

- Dans ce sac, vous trouverez la bête noire que vous chassiez, dit Laurent en pointant la masse du doigt. Vous avez fait honneur à votre maison.

- Mais tu n'es pas du Cressac, souleva Rossi un peu vexé. Sans l'écu d'argent au lion de sable je ne te reconnais pas, chevalier Laurent. Et comment, hasarda-t-il en regardant la masse dégoulinante?

- Depuis peu dame Blanche de Cassadet m'a fait des vôtres, posa calmement le chevalier. Pour le sanglier, je suis simplement plus fort que vous, chevalier Rossi. Seigneur, dit-il pliant le genoux, je vous offre ma force et mon honneur.

- Très bien nouveau fidèle, souria Ferdinand. Maintenant retournons chez le sieur Artus. Attachez la bête aux chevaux. Cette aventure m'a épuisé. Rossi, tu chanteras notre gloire. Et toi brave Laurent, tu me masseras les pieds. Allons, il me faut l'âtre et la bière."


Aussi le petit matin éclaira pour la première fois la chanson de Ferdinand de Cassadet, pourfendeur de la bête-noire de bois-Artus.




Chapitre deux - Le chien de Gueldre


La terre trempée suçait les sabots des chevaux. Trois jours de pluie avaient fait dégorger les affluents du Dôlne. Puis les rivières s'étaient retirées laissant de nombreux pièges de boue carnivore que les trois cavaliers évitaient talentueusement. Le Chevalier Rossi pestait contre le froid humide des fins d'hiver,ce qui raviva ses cafardages.

"- Pourquoi donc ne nous sommes-nous pas arrêtés à Enormia Paloma Eden ?

- Le princesse n'a pas répondu à nos lettres donc notre présence n'était pas la bienvenue, répondit calmement le Chevalier Laurent. Certains préfèrent le calme à la rigueur d'une conversation et la solitude au dérangement.

- D'autres ne respectent pas les plus simples usages, posa leur seigneur Ferdinand de Cassadet à la façon des pères. Et je ne suis pas de ceux là. Nous ne forcerons aucune porte qui ne nous soit ouverte de bonne volonté.

- Nous aurions trouvé une taverne en ville, mangé autre chose que des provisions presque gâtées, dormi ailleurs que sur un sol gaugé, rêva Rossi.

- Rossi, je tiens à rester parmi les gens de biens mais reprends toi car voilà qu'un village se découvre sur la rive, désigna Ferdinand."

Le doigt ganté du seigneur pointait vers une bousculade de maisons et de huttes. Montées les unes sur les autres, elles formaient une mêlée de bois et de brique que flanquaient la rivière. De grandes élévations rocheuses leurs faisaient faces. Elles auraient dû répercuter quelques bruits mais seul les rapides portaient des échos du hameau en charriant des débris et des ordures propre à l'humain. Aussi des os rongés, des draps déchirés, du bois brisé et des outils tordus se perdaient dans les flots brunâtre. Parfois surnageait un instant une carcasse informe aussitôt ravalée par le fleuve. A mesure de l'approche, la terre alentours se couvrait de terribles stigmates. Se déparant de tout végétal, elle semblait avoir été frappée à mains nue jusqu'à ne devenir qu'une bouillie molle d'où affleuraient des tessons de verres et des cailloux effilés semblable à des crocs. Des sons indéfinissables se portèrent aux cavaliers approchant. S’amplifiant à la mesure leur progression, ils finirent par distinguer des râles de douleur qui perçaient une clameur sanguinaire. Ensuite emmargea le bruit des poing cognant la chair.

Précautionneusement, les voyageurs arrivèrent sur la place. Ils débouchèrent sur une assemblée circulaire de formes humanoïdes aux visages détruits mais aux corps durs et taillés de force. Elles entouraient un promontoire qui semblait être un autel de pierre. Sur cet espace usé, large d'une dizaine de mètres, deux hommes nus s'y frappaient. L'un des deux s'acharnait à tamponner les derniers vestiges oculaires de sa victime. Lorsque celle-ci ne bougea plus il se releva et joyeusement rejoignit le cercle. Un silence tomba lorsque la présence des trois intrus fut remarquée. Celui d'entre les habitants qui avait le visage le plus humain s'avança. Dans un tout autre endroit, il ne passerait pas pour élégant, mais sa chemise blanche et son pourpoint noir mouchetés de sang ainsi que son visage angulaire que surmontait un chapeau à aigrette lui accordait la préséance. Il interpella les cavaliers avec force :

" - Avancez inconnus. Je suis le grand maitre de ces terres. On me nomme Nicolas Gueldre, et lorsque je me bas Molosse.

- Il doit être fort, il est le seul à ne pas avoir la face ravagée, murmura Rossi vers Ferdinand.

- Pas seulement parce que j'ai l'oreille fine et les poings tendres, lança Nicolas. Vous êtes les bienvenus dans mon asile. Ici on se bat pour manger, on se bat pour dormir. Parfois on se bat pour rien et souvent on se bat pour le plaisir.

- Je ne suis pas familier de ces jeux mais à la bière je ne crains personne, tenta d'esquiver Ferdinand.

- On se bat aussi pour boire, fit leur hôte. Allons messires. Descendez.

- Je ne me bats jamais entre les repas, essaya avec humour le Cassadet. C'est un manque de savoir vivre.

- On se bat aussi pour partir votre ventripotence, moqua Molosse découvrant des gencives étrangement propres alors que l'assemblée encerclait lentement les trois cavaliers.

- Rossi, dit le seigneur tournant à demi la tête vers son Chevalier, te souviens-tu que nous sommes des gens de bien répondant aux usages de politesse, respectant les us et coutumes de chacun. Tu conviendras que je ne peux m'abaisser à frapper cette engeance. Mais sans exagérer ce quolibet, il est impératif de défendre la force et l'honneur de la lignée de la Première.

- Bien sûr seigneur, Force et Honneur, répondit Rossi en frappant mollement sa poitrine."

Défourchant sa monture, la première botte du Chevalier attegnit le sol. Le margouillis aspira celle-ci sur quelques centimètres. Le second pied rejoignait tout juste l'autre quand Gueldre fonça. Sa foulée projeta des morceaux de boue derrière lui. Rossi eut à peine le temps de lever le bras. Esquivant aisément la parade, Nicolas entoura son adversaire des bras et l'allongea sur le dos. Le visage presque beau du maitre de Gueldre se fendit d'un rictus violent. Il se hissa sur le torse de plaque, bloquant les bras du Chevalier et commença à porter de puissants coups au casque. Ses mains nues viraient au violet et de l'écume roula à ses lèvres. Le métal se tordit lentement, inéluctablement. Sonné par la fureur de Molosse, Rossi arracha sa main bardée de métal à la prise puis porta un coup ravageur aux côtes de son ennemi. Celui-ci émit un couinement en se redressant. Rossi attrapa le bras du combattant et s'arque boutant dessus se remit sur ses jambes. Le poids de l'armure arracha un léger couinement à Molosse. Le Chevalier porta la main à la poigne son épée. Ferdinand ordonna du haut de sa monture : « Avec Honneur Rossi, ne souille pas nos lames». Faisant preuve d'une résistance peu commune, Molosse se ressaisit et décrocha un coup brutal. Haletant, il glissa sa main sous le heaume de son adversaire et l'arracha.

Des boucles rousses dégoulinèrent sur l'armure. Elles encadraient un visage incisif au teint légèrement rosé. Deux yeux verts coupaient d'une haine froide la honte d'être ainsi étêtée. Molosse stupéfait de l'apparence de son adversaire ne bloqua pas le poing qui lui fracassa la mâchoire. Il tenta de se reprendre mais Rossi, experte, cassa son genoux d'une extension maîtrisée. Puis ayant saisit le bras profanateur, elle en éclata précisément le coude. Démoli et à terre, Nicolas ne ressentait plus que la douleur quand la botte de cuir lui écrasa le visage dans la boue. Avant que le crâne ne cèda ou que Molosse n'étouffa Ferdinand arrêta le combat. La chevaleresse obtempéra. Puis, la main sur le pommeau de son épée, elle défia chaque membre de l'assemblée du regard. Le cercle s'ouvrit sur les gémissements du maître de Gueldre qui agitait en l'air son dernier bras valide. Rossi ramassa son casque où disparu son visage. Puis elle remonta lourdement sur son destrier et les trois cavaliers pressèrent leurs montures esquivant les crocs qui saillaient du sol. Ils quittaient à peine la place que derrière eux, une mêlée débutait, emportant les rancoeurs animales dans un tourbillon de rage.

En peu de temps les falaises s'ouvrirent sur une vaste plaine. La fange s'y effaçait progressivement et l'herbe reparaissait. Lorsque les chevaux purent reprendre un rythme régulier sans peiner de s'ouvrir la jambe, Ferdinand brisa le silence :

" - Ventre-Dieu Rossi, quels coups, quel talent. Tu es effrayante. Mais t'a-t-on déjà dit le ton grave de ta voix?

- Impressionnante reprise, ajouta Laurent. Bien que ce Molosse soit comme nu, vous avez vaincu. Et c'est un beau fait.

- Pourtant nous dormirons encore dans le froid, soupira Rossi penchant sa tête vers l'arrière. Et oui, messire on me l'a déjà dit. Ma voix se durcit à l'automne et s'éclaircit avec le redoux.

- Sainte-Mere, voilà qui est formidable, je te donnais vingt années jusque là, railla leur seigneur. Laurent, fidèles des fidèles, ce soir, tu nettoieras nos armures de tout ce purin. Toi Rossi, je te veux chantant ma gloire. Mais n'oublie pas mon héroïque combat.

- Et un vieillard, interrogea-t-elle ?

- Bien sûr un vieillard, ria Ferdinand, sinon personne ne nous aurait demander de libérer le village du joug de Molosse."

La nuit tomba sur le feu de trois voyageurs qui s'efforçaient tant bien que mal de passer une nuit plus sèche que les précédentes.


Ainsi se poursuit la chanson de Ferdinand de Cassadet, libérateur de Gueldre, pourfendeur de la bête-noire de Bois-Artus.




Chapitre trois - La danse de Ténèbres (Partie1)


Le lent reflux du matin poussait la nuit derrière les montagnes. Mais l’aube ne perçait pas la lourde couche de nuages grisâtres. Du ciel tombait une neige couleur cendre, très vite battue par des bourrasques cinglantes. Les chevaux peinait à arpenter le fin sentier de terre qui coupait les roches acérées. Des éclats de pierre se détachaient régulièrement pour s’exploser en contrebas. Rossi à l'accoutumée plaignait son sort et Laurent, la suivant de près restait muet. A cette altitude, ses lèvres, étaient figées par le froid. Sur son robuste destrier, devançant de quelques mètres ses fidèles Chevaliers, Ferdinand de Cassadet, atteignait enfin le col qui dominait la cité. La neige et le vent semblèrent se figer quelques instant alors qu’il embrassait la vision de Ténèbres.

Bâtie à flanc de montagne, la forteresse dégageait une atmosphère désagréablement malsaine et intimement attirante. De hautes tours, reliées par de vertigineux ponts de bois et de cordes, crevaient à travers les nuages de brumes. Ce vomis blanchâtre se déversait sur des murailles massives et dégoulinait sur les maisons aux toits d’ardoise. Entassées, les rues s’enchevètraient en tout sens. Les passages dallés succedaient aux passerelles. Chaque impasse trouvait son issue. Ce capharnaüm parcouru d’une confusions grouillante de vie exhalait des fumées noire par les cheminées des maisons et des forges.

Se retournant sur sa selle, la neige givrant son épaisse barbe, Ferdinand remarqua ses fidèles arrivés à sa hauteur. Pour couvrir le vent, il leur cria :

“- Nous y sommes, ce bon vieux Sanch Gallidrac de Soller e n’a pas menti.

- Mais pourquoi aller chez ce prince mon seigneur, lança Rossi? Nous aurions tout aussi bien pu rester dans la vallée pour rejoindre la mer. Voilà deux jours que nous nous esquintons dans ce froid.

- Remonter de Givre à Ténèbre en coupant à travers la montagne nous a permis de gagner un précieux temps, observa difficilement Laurent dont les lèvres se mirent à saigner.

- Rossi, le prince a pris le temps de répondre à mes lettres, brailla Ferdinand. Il a une quête à nous confier. Comme je suis chevalier de la quête, je dois y répondre. Et vous, mes fidèles vous me suivez.

- Monseigneur, héla Laurent, pointant du doigt une masse sombre. Ce sont des cadavres que je vois accrochés dans cet arbre?

- Foutre-Diable, jura Ferdinand s’assombrissant. Oui ce sont des pendus. Quel est ce diable d’endroit?

- Allons nous continuer, tenta Rossi?

- Bien sûr, j’ai mis mon honneur sur la table, tempêta Ferdinand. Allons portons nous devant le Prince.”

Les trois cavaliers poussèrent leurs montures. Sur ce versant, il furent à l’abris du vent et une relative chaleur les regagna. Le battement des sabots perçant la neige molle retentissait en échos et bientôt des feux illuminèrent la partie des remparts qui leurs faisaient face. Longtemps le bruit sourd se répercuta à mesure de leur descend. Mais les bruissements de la ville ne leur parvinrent que plus tard. D’abord, ils entendirent, des grondements sourds du roulement d’un mécanisme puissant. Puis s’ajoutèrent des claquements de fouet, les bottes de métal disciplinées, le hurlement du métal qui se tord, la chaîne qui se tend, l’eau qui s’évapore. Et enfin des voix, les ordres criés et les cris de douleur. Les murailles toujours plus immenses semblèrent les avaler alors qu’ils approchaient. Coulant depuis le chemin de rond, les immenses oriflammes de Ténèbres de gueule et d’argent tranchaient sur la pierre noire. Les lourdes portes étaient ouvertes quand ils y parvinrent. Une petite troupe d’arbalétriers aux uniformes rouges et blancs filtrait les quelques passants. Elle s’excita à leur apparition. Une fois arrivée à leur hauteur, l’un d’eux posa la main sur la bride du cheval de Ferdinand et demanda :

“- Bonjour étrangers, officier Cortot de la garde de la cité, avez-vous un laissez-passer ?

- Ventre-Dieu, non, rigola Ferdinand, je suis ici à la demande du Prince.

- Monseigneur, je crains qu’en l’absence de document officiel, vous ne puissiez pénétrer l’enceinte, poursuivi l’officier sur un ton neutre.

- Bon-sang, je vous dis que le Prince m’a fait demander, se vexa le seigneur.

- Encore une fois, recommença calmement le soldat, sans papier officiel je…

- Morte-entraille, s'agaça Ferdinand, je ne comprends rien à votre histoire de papiers.

- Monseigneur, je vais vous demander de garder votre calme, dit l’officier alors que les arbalétriers mettaient en joue les trois cavaliers. Une dernière fois, avez vous un document officiel, le papier de l’invitation devrait suffire s’il porte le sceau?

- Rossi, laisse ton épée et tend à cet homme ce qu’il demande, acheva Ferdinand.”

Fouillant dans le tissu de son haut, Rossi sortit une petite lettre pliée et la tendit à l’officier. Dubitatif, celui-ci sembla rassuré par les armoiries princières. Il fit signe aux arbalétriers qui s’écartèrent pour laisser passer les trois cavaliers. Une fois passé, Ferdinand se fit indiquer le logis le plus confortable de la ville. Les trois voyageurs déposèrent leur fatigue dans un des nombreux bordels de la ville. Récupérant un peu avant de rendre visite au prince de Ténèbres.



Chapitre trois - La danse de Ténèbres (Partie2)


Le souverain de Ténèbres, Belzeroth Vendemort était un colosse d'une quarantaine d'années au regard sombre, entravé d’une balafre. Ses longs cheveux noirs, grisonnant aux tempes se confondaient sur sa tunique rehaussée de traits d’or. Il les accueillit avec curiosité dans la haute-salle de la forteresse. A ses côtés siégeait sa femme, la princesse Tanasha et debout derrière lui, sa soeur Vivianne. La pièce était cernée d'alcôves où se tenaient légèrement en retrait la garde princière. Son plafond se perdait dans l’obscurité que la lumière des chandelles ne pouvait atteindre. Les armures frémirent au moment où les chevaliers du Cressac parurent.

Ferdinand, monopolisa longuement la parole pour justifier de ses actions héroïques. Le Prince, excellent hôte, joua des prestiges des dynasties familiales. Il parla de son grand père dont les prouesses au combat en avait fait la légende d'un autre temps mais qui avait succombé lors d’une orgie bacchanale étouffé dans son vomi. A force de patience et de finesse, le Prince finit par rediriger la discussion vers la mission pour laquelle il avait accepté de faire venir le chevalier de la quête.

La seigneurie du Lac dont la soeur princière était souveraine avait depuis peu succombé à la panique. Les gens y murmuraient que le blé se couvrait de pourriture au crépuscule, que l’eau des puits était devenue salée, qu'on y voyait les oiseaux y voler face au vent et que le bétail mettait bas des animaux morts. Plusieurs témoins avaient affirmé que des bêtes folles parcouraient les bois dévorant les hommes qui s’y aventuraient. Aussi, ayant entendu que le vainqueur de la bête-noire de Bois-Arthus cherchait l'aventure, le prince s'était décidé à louer ses services. Ferdinand accepta prétentieusement la proposition du prince. Satisfait ce dernier claqua des mains et des nuées de serviteurs portèrent plats et boissons.

Un des mémorables banquets de Ténèbres débuta. Ayant réalisé la portée de sa promesse, Ferdinand s'enquit de tous les détails qu'il pouvait entre de massives bouchées de viande et de gouleyants verres. Il échangea avec Rossi et Laurent sur les meilleures investigations possibles tout en assurant le prince de leurs capacités. Puis il reparla de ses victoires passées tout en absorbant toujours plus de pièces de viandes accompagnés d'alcool. Au milieu de cette frénésie gargantuesque, la soeur du Prince lui offrit son bras pour parcourir les remparts. Il s'essuya les mains dans la nappe de soie avant de la rejoindre. Tous deux sortirent et discutèrent pendant de longues minutes. Il demeurait captivé par son regard gris pâle, opaque qui perçaient la nuit. De cette hauteur, on apercevait la seigneurie du Lac et son bois qui semblaient se mouvoir sous la lune. Mais alors qu’ils traversaient un autre nuage de cette brume qui couvrait la forteresse, elle lui demanda :

“- Ferdinand, étiez-vous déjà sorti du Cressac avant ce voyage?

- Je ne connais pas de meilleur endroit que mon domaine, répondit-il grossièrement. Et pour tout dire, souvent il me manque.

- J’irai presque vous plaindre, minauda-t-elle. vous grossissez les traits. Les [I]saliveurs[/I] de mon frères ont souvent cet effet sur les invités. Le pire était un gras baron qui s'était retrouvé à quatre patte sur les dalles. Son menton et ses cheveux seuls dépassaient. Le reste était enfouit dans un tas de lentille à même le sol. Ne me regardez pas ainsi, Gentil Ferdinand, je plaisantais. Cette conversation devenait ennuyeuse.

- Je suis fait d’un seul bois, fit-il vexé. Je ne sais convaincre, je ne suis pas bon en nuances. Mais je sais écouter les brillantes personnes lorsque je les vois. Aussi, ne me faites plus attendre, dites-moi ce que vous espérez de notre promenade.

- Mon gentil Ferdinand, êtes-vous superstitieux, lâcha-t-elle après quelques secondes de silence?

- Nous avons effectivement quelques légendes chez nous, plaisanta-t-il. Disons seulement que je n’offre jamais de couteau. Quant aux histoires de fantômes ou de discussions par l’esprit, je leur porte de sérieux doutes.

- Et pourtant vous rêvez, le reprit-elle sérieuse. Nos légendes disent que les rêves sont un monde à part entière et qu’un passage vers lui se trouve quelque part sur nos terres. Tout y serait intimement semblable mais aussi étrangement différent. Il serait d'autant plus attachant que des créatures aussi fantastiques que dangereuses le peupleraient.

- Je rêve aussi bellement que vous, sourit-il. Mais y croyez vous vous-même.

- Vous êtes identique à d’autres, se referma-t-elle Vous avez d'imagination que pour ce qui vous plais.

- Pardonnez-moi, je ne cherchais pas à me moquer, la reprit-il. Mais même en admettant qu’un tel monde et qu’un tel passage existe. Nul ne les a vu depuis ces songes que vous m'avez raconté. Pour ma part, je rêve quand je dors. Et lorsque j’ai les yeux ouverts, je sais que ce que je vois, entends et ressens est réel. Vous, cette brume qui passe, ce rempart, tout cela je le vois.

- Vraiment Gentil Ferdinand, murmura Vivianne à son oreille. Mais êtes-vous réellement sûr de ne pas rêver ?”

Ferdinand ouvrit de grand yeux en sursautant. Il était allongé sur la table du banquet. La nuit était déjà bien avancée et ses chevaliers Rossi et Laurent étaient anormalement affalés sur des fourrures. Leur respirations profondes indiquaient un profond sommeil dont il ne se trouva pas le courage dele s tirer. En dehors d’eux, ni le prince, ni sa famille ou ses chevaliers n’étaient restés.

Ferdinand se releva, touchant son ventre pour s’assurer de son état. Puis frottant sa nuque, il avança vers le balcon pour y humer l’air frais. Son crâne était plus engourdit que douloureux. Il bouscula quelques coupes mais le bruit ne perturba pas les deux dormeurs. Le vent fourbe lui claqua le visage et il posa la main sur la balustrade qui dominait vertigineusement la ville. Le vin l’avait si abruti qu’il ne remarqua pas immédiatement le corbeau de jais qui l'observait depuis le rebord. Il grogna dans sa barbe :

J’ai terriblement bu. Pourtant je n’ai pas souvenir de la fin de cette fête. Je deviens mollasson avec le temps ou par manque d'entrainement. Je devrais boire plus. Ventre-Dieu non. Mais cette Vivianne de soeur qui porte des yeux si envoûtant. Quelle formidable rêve. J’aurai pourtant juré que je marchais bien sur la muraille dans cette brume. J’étais à la croisée des délires. Je ne saurais dire si c'est heureux ou non tant j'appréciais cette compagnie mais ce n’était qu’un rêve, soupira-t-il.

“Etes-vous vraiment sûr d’avoir rêver, sembla croasser le corbeau?"



Chapitre trois - La danse de Ténèbres (Partie3)



L’odeur de souffre suivait la brume grise. Elle ondoyait au raz du sol, entre les arbres morts. Leurs carcasses rachitiques griffraient le ciel de leurs branches nues et tourmentées. Suivant le battement de ce presque liquide, une petite troupe de soldats avançait précautionneusement sur le tapis spongieux et de feuilles mortes. La décomposition avancée de cadavres d’animaux exhalait des tissus de moisissures semblables à des toiles. A la tête du groupe, sur leurs montures, venaient les chevaliers Rossi et Laurent, aux armures étincelantes parées du lion noir. Ils précédaient les soldats du prince de Ténèbres de quelques pas. Armées de hallebardes, d’arcs et d’arbalètes. Ceux-ci progressaient sévèrement avec la discipline stricte exigée de l'armée de la principauté. Et au centre de cette équipée chevauchait Ferdinand de Cassadet. Il était vêtu à la façon du Cressac. Sans casque, des tissus rouges et ors renforcés de cuirs recouvraient son armure de mailles et de plaques jusqu’à la mi-cuisse. Ses jambes disparaissaient dans de grandes bottes de spadassin. Il tenait les rennes de sa monture avec l’assurance d’un seigneur à la chasse. Malgré l’odeur et le décor repoussant, il gardait son sourire. Il porta pour la troisième fois l’outre de vin à ses lèvres mais cracha le contenu sur le sol :

“- Peste, l'odeur l'a fait vinasser. Rossi, lanca-il à sa chevaleresse. Rossi accours à mon côté.

- Seigneur, s’enquit-elle en arrivant? Vous buvez beaucoup depuis la nuit dernière, nous chassons, c’est dangereux.

- Seuls les cerfs doivent craindre la chasse, fit-il mauvais. Et chasser n’est pas le mot pour cette maudite forêt. Nous ne connaissons même pas le gibier. Comment va le moral de la troupe?

- Les soldats murmurent, confia Rossi. J’ai entendu quelques bribes mais nous nous approchons d’un lieu que leur superstitions les faits craindre. Jusque là, je trouvais pourtant les armées de la...

- Là, vois-tu le corbeau sur cette branche, interrompit-il soudain, levant le doigt ?

- Quel corbeau seigneur, demanda-elle? Je ne vois des oiseaux que sur le sol, mais mort.

- Il file, poursuivons le, cria-t-il poussant les flancs de son cheval.

- Seigneur reprenez-vous, voulut-elle l’arrêté mais il n’entendit pas. Soldats, à la course. Le seigneur est victime d’un maléfice.”

Tous se mirent en branle pour ne pas se laisser distancer. Les soldats de Ténèbres couraient avec une vivacité qui surprit le chevalier Laurent. Non seulement ils gardaient intacte leur formation mais ils restaient à une courte distance sans faillir.

En quelques minutes ils retrouvèrent Ferdinand qui s’était stoppé devant un monolithe. Les chevaux renaclèrent. La pierre lisse émergeait de corps en décompositions, humain ou non. Ceux-ci crachaient leurs moisissures qui se répendaient tant au sol que sur le monument. Mettant pied à terre, Ferdinand approcha comme ensorcelé. Sans tenir compte de la congestion morbide du sol, il se rapprocha et leva sa main pour tenter de lire les symboles. Rossi et Laurent malaisés échangèrent un regard se demandant s’il ne valait mieux pas retenir le retenir. Les soldats qui s'étaient éparpillés pour couvrir la zone frissonèrent. Un cri strident se dilua dans l’air. Tous excepté Ferdinand portèrent la main à leur oreilles. Un grattement entoura la clairière. Plus exactement, des milliers de minuscules grattements provenaient de tous côtés. La brume verdâtre s’épaissie et l’odeur du souffre piqua férocement le nez. On n’y voyait plus. Des hurlements de frayeur jaillirent de la position d’un soldat, un jeune homme d’une vingtaine d’année. La frayeur se mua en terreur. Des multiples bruits de mâchonnement s’y mélèrent en un son atroce. Un autre hurlement s’éleva puis chaque position de la troupe émirent semblable horreur. Rossi et Laurent qui étaient descendus de leur monture se pressèrent au côté de Ferdinand. Il demeurait toujours fasciné par la pierre. Progressivement les cris s'évanouirent dans des gargouillis avant de s’éteindre ne laissant que le mâchonnement. Puis un silence mortifère suivit. La brume reflua. Les restes des soldats apparurent. Les morceaux de chaire avaient été nettoyé laissant os, tissus et armures qui se couvraient déjà de moisissure.

Un corbeau vint se poser devant les trois survivants Ses yeux vides clignèrent trois fois. Les brumes qui avaient formés un mur circulaire autours du monolithe s’ouvrirent sur une jeune femme vêtue simplement d'un épais manteau de fourrures surabondante aux épaules qui laissait entrevoir son corps. Son regard gris pâle, presqu’opaque sembla scruter les entrailles des chevaliers. Elle passa la langue sur ses lèvres en avançant vers eux. Reconnaissant la soeur princière, les chevaliers se sentirent tiraillés un instant entre le respect de l’ordre et leur devoir de protection envers leur suzerain. Vivianne savoura leur confusion et passa lentement sa main devant elle. Ses yeux s’illuminèrent et les deux chevaliers s’écartèrent, droit comme à la parade. Sans excès, sans vulgarité et sans vulnérabilité, elle se colla au dos Ferdinand encore obsédé par les runes. Elle referma ses jambes sur lui. Sa main gauche tâta chaque partie de son corps. Sa main droite enserra la gorge. Ses ongles se fichèrent dans la peau du seigneur alors qu’elle approchait ses lèvres de son oreille. La fourrure débordante la faisait ressembler à une immense épeire juchée sur sa proie. Laurent et Rossi frissonnèrent incapables de bouger.

“- Mon gentil Ferdinand, sussura-t-elle sa main gauche glissant le long de l’épaule. Mon gentil Ferdinand, reprit-elle l’arrêtant au bas ventre. Sors de ta torpeur que je déguste tes peurs, gronda-t-elle alors que deux mandibules baveuses sortaient du fond de sa gorge.

- Vivianne, croassa le corbeau! Tu ne peux pas! Son destin est déjà choisi.

- Depuis quand l’Hèrm m’appelle-t-il par mon nom humain, ragea-t-elle en tournant la tête vers lui?

- Depuis que toi et tes amies ne mangeront personne de plus et que les survivants n’ont pas besoin de le savoir, répondit moqueusement l’oiseau. Ravale tes excroissances Vivianne, la mi-forme ne te va pas du tout.

- Trois semaines que je les attire, que je les prépare, se lamenta-elle. Je conchie les trois et leurs fils. Mais ces deux chevaliers, ils n’ont pas de si grande importance dans la tapisserie.

- Regarde le monolithe luire, s'amusa l'Hèrm. La pierre choisit son gardien. Tu ne les as jamais mené ici. Ils étaient déjà prédit.

- J'espérais un instant que tu te sois trompé, dit-elle reprenant visage humain.

- Ne te reste-il pas quelques paysans et leurs vaches dans ta toile, ironisa le corbeau? C’est aussi pour ta survie.

- Très bien, fit-elle descendant de sa proie. Une autre guerre arrive, je me repaîtrai dans les carnages. Laissons-les avant que je ne me ravise.”

Vivianne et l’Hèrm disparurent dans la brume. Pendant quelques heures Ferdinand persista dans sa contemplation tandis que la nuit tombait. Alors il s’effondra le visage en sueur. Rossi et Laurent libérés aussi soudainement des chaînes immatérielles portèrent Ferdinand à la forteresse de Lac.


***


Une lettre simple fermée par un sceau de cire rouge.


Nous, Ferdinand de Cassadet, seigneur du Fray, protecteur des Lonneries, à Belzeroth Vendemort, prince de Ténèbres, nos salut et respect.


Les révélations que l’honneur m’oblige à vous porter ne seront connues que de vous et de l'usage que vous en ferez. Leur véracité est indémontrable aussi je ne peux gager que de ma sincérité. Mais voici donc le récit de notre aventure :

Notre quête nous a porté sur des terres indescriptibles. Le charnier que les loups géants firent de vos hommes fut terrible. Seuls moi et mes chevaliers en réchappèrent. Mais grâce au glorieux sacrifice, les bois sont saufs à nouveau.

L’honnêteté pousse ce conseil que je vous offre, ne laissez pas votre soeur ourdir à votre encontre. Quelques jours avant la chasse, elle m’a proposé un trône que j’ai su refuser. Si vous doutez, dites lui simplement ceci : “ Les mi-formes soufflent la honte des dieux. La bibliothèque gardera votre secret”. Si elle se trouble c’est que sa culpabilité ne fera aucun doute aussi sûrement que la noyade découvre la sorcière. Je sais que votre jugement à son encontre sera juste.


Pour ma part, je ne demande aucune récompense que la gloire de cette quête. Je repartirai dans la mâtiné. Aussi, sachez que je dirai partout à qui me questionnera que votre noble personne est un bon hôte et un grand prince.


Force & Honneur


Ferdinand de Cassadet.



***


Au matin, après quelques heures de chevauchée ardue, les forteresses de Tenébres et du Lac disparurent dans les brumes juste avant le passage du col si rapidement que les trois voyageurs doutèrent d’avoir rêvé leurs existences.


Ainsi se poursuit la chanson de Ferdinand de Cassadet, gardien de la pierre de Lac, libérateur de Gueldre, pourfendeur de la bête-noire de Bois-Artus.



Je tiens à remercier Belzeroth Vendemort pour avoir pris de son temps en m'aidant à l'élaboration de chaque parties de ce chapitre. Tant pour la création du décor et des personnages que pour la relecture des aventures lorsqu'elles n'étaient pas au niveau.



Chapitre quatre - L’herbe et le murmure



Les trois voyageurs progressaient depuis plusieurs jours vers le Nord. Partis de Ténèbres - si vraiment cette forteresse avait existé - ils suivirent des sentiers vertigineux. Arrivés au coeur d’une vallée inhabitée, ils suivirent le courant d'un ruisseau. Rien ne surpris leur voyage que les vestiges pavés d’une ville rasée du nom maintenant oublié d’Arverne. Puis, cédant la douceur des étoiles aux caprices des nuages, ils traversèrent une vaste forêt manquant de se perdre. Trompant quelques averses, ils débouchèrent sur des terres accueillantes. Une longue étendue d’herbes hautes montait et dévalait des collines avoisinantes. En certains endroit elle se trouaient de rochers bruns, en d'autres, dépassaient de vigoureux aulnes qui refleurissaient. Parfois un animal fendait la mer verte qui bruissait à son passage. Le printemps avançait doucement en ces terres.

Se séparant de ses chevaliers Rossi et Laurent, Ferdinand parti plus avant. Ces derniers avaient toujours quelques réticences à le laisser aller à ses chevauchées mais respectaient les envies de leur seigneur. Au bout de longues minutes, ce dernier s’arrêta dans le creux d’une colline où l’herbe grimpait jusqu’à la croupe du cheval. Il guetta de tous côté pendant un court instant. Puis, finalement isolé du monde, il mit pied à terre et, scrutant à travers herbes, il marcha en direction d’un rocher plat à raz de sol. Il grimpa la pierre et la tapa du pied. Persuadé d’être au bon endroit, il déboucla sa ceinture et entreprit de se défaire de son mieux. Le soleil brillait, le vent remuait les longues tiges qui l'entouraient. L’instant se parait de sérénité. La nature étendait des bras apaisant. Mais soudain une voix s’éleva du rempart végétal :

“- Seigneur Ferdinand de Cassadet ?

- Je, sursauta-t-il. Non!

- Ferdinand de Cassadet, chevalier de la quête, le libérateur de Gueldre, celui qui a sauvé Bois-Artus de la bête noire, c’est vous, assura la voix. J’ai mes informations et je vous piste depuis longtemps.

- Il se peut que je sois le Ferdinand que vous cherchez mais pas en ce moment, répondit-il entre malaise et colère. D’ailleurs un être grand seigneur ou petit paysan besognant à mon humble effort ne saurait être qui que ce soit.

- Je ne peux attendre votre aise, dit la voix. Malheureusement, il est difficile de ne pouvoir parler à vous seul sans témoin de notre entrevue. Aussi ai-je à vous communiquer des affaires importantes.

- Si ce moment pouvait ne pas se transformer en entrevue, sembla-t-il implorer. Je gage que nulle information ne saurait justifier pareil traitement.

- Nous n’avons pas le temps pour vos caprices, asséna la voix qui se transforma en un visage.

- Mais enfin, se décontenança le seigneur qui se reprit au plus vite et cacha du mieux ses soucis tout en portant une main maladroite à la poigne de son épée! Veuillez ne pas troubler ma quiétude, nous parlerons dès que...

- Cela est inutile, coupa l'arrivante. Lâchez votre épée, nous ne sommes pas ennemis.

- J’en jugerai plus tard, menaça-t-il. Nommez vous et tournez le regard.

- Je suis Zéphyr, pressa-t-elle en imposant ses yeux à Ferdinand. Je représente ici la Confrérie des Murmures et croyez bien que vos impératifs sont secondaires au regard du temps qui s’écoule. Je suis venu à vous parce que votre Grande Bibliothèque nous intéresse.

- Le Fray est une terre du Cressac, tenta en fierté Ferdinand. Il n’est pas à commercer et pour le reste je suis un chevalier de la quête. La famille Holon veille à la bonne gestion de mes terres que ma soeur et suzeraine protège. Vous ne devriez pas vous amuser au dépends de mon sang.

- Seuls les savoirs nous importent, assura-t-elle. Nous sommes marchands de connaissances et d’informations. Nous trouverions appréciable de consulter quelques une de vos archives.

- L'Honneur de mon sang et de ma lignée ne peut se compromettre dans semblable affaires. se reprit Ferdinand rassurant sa poigne.

- Peu des nôtres agissent dans l’ombre, reprit-elle. Nous vous demandons seulement quelques informations.

- Qu’y gagnerais-je, souleva-t-il?

- Un accès avancé à nos ressources, et la promesse de rencontre moins absurdement impromptues, expliqua la gêneuse.

- Cela ressemble à une menace, posa le seigneur. Vous me surprenez, mais je crois que nous laisserons de côté nos relations pour le moment. Si vous partez dans l’instant, je vous offre un accès poussé à la Grande Bibliothèque. Promettons-nous que vous ne reviendrez plus à l’improviste.

- Je promets moi de ne plus vous surprendre ainsi, déclara solennellement Zephyr lui tendant un velin de cuir gris. Tout ce que vous devez savoir se trouve à l'intérieur, que vous décidiez de nous rejoindre ou non. Que le vent vous porte, souffla-t-elle.

- Je prendrai ma décision plus tard, dit-il portant les yeux au velin.”

Mais lorsque Ferdinand releva la tête, il contempla le vide que remplissait un instant auparavant la mystérieuse Zephyr. Il se retrouvait donc son épée dans une main, dans l’autre le velin et traînait ses obligations au vent rafraîchit. Patientant pour s'assurer, il acheva sa mission première. Ensuite il remonta à cheval et rejoignit ses chevaliers. Tous, ils se mirent en branle et pour tromper l’ennui de la marche, Ferdinand déplia le velin. Face à l’incompréhension des deux autres, il expliqua qu’il avait trouvé le tout traînant entre deux herbe. Mais alors qu’il en consultait le contenu il s’exclama : “Foutre-Diable, Zephyr n’était pas son prénom!”


Ainsi se poursuit la chanson de Ferdinand de Cassadet, gardien de la pierre de Lac, libérateur de Gueldre, pourfendeur de la bête-noire de Bois-Artus.



Chapitre cinq - L’idiot du village (partie 1)



Derrière les hautes vitres, la lune ronde riait sur les tintements travailleurs des orfèvres. Elle projetait des dégradés de gris sur les boucliers noirs qui décoraient réglementairement les murs blafards. Les gryphons d’argent qui les ornaient éclataient les raies lunaires éclairant ainsi le couloir. Les visiteurs et leur guide remontaient le couloir contrasté. Face à eux, une longue file de serviteurs portant linges, argenterie, lettres ou documents se déroulait à leur encontre. Ils étaient vêtus de velours sombre gris rehaussés de broderies simples. Le guide se retourna vers Ferdinand de Cassadet. D’un geste il fit comprendre à l’invité qu’ils n’étaient plus très loin. Passant à la lueur d’une fenêtre, le seigneur du Fray s'aperçut qu’il succombaient lentement à la monotonie chromatique d’Havrenuit. Ses propres tissus qui à l’ordinaire criaient au rouge lui paraissaient maintenant de cendre ou d’anthracite. Passant sous une arche de pierre, ils débouchèrent sur la Grande Salle. Dans la cheminée des flammes pâles crépitaient. Les arrivants traversèrent la Grande Salle où la soldatesque allait de repas en repos, ou comptait ses caisses de matériel. Le guide poussa une large porte et s’y engouffra. Ferdinand pénétra la petite salle suivit par ses chevaliers Rossi et Laurent. Il se retrouvèrent face au patriarche du lieu, Varonn Fold. Ce dernier était un homme mûr au visage sans lèvres surmonté d’un chapeau à la plume prétentieuse. A son côté se tenait une jeune femme. Ferdinand reconnu la description de Milesine Beaumont telle que les ménestrels la chantaient, un regard acéré sous des anglaises noires et blanches. Un instant Ferdinand pensa se vexer car sa fidèle chevaleresse Rossi n’avait pas précisé que Fold serait accompagné. Mais il se ravisa vite et élargit le sourire sous sa moustache.

Debout à côté d’une table massive Varonn et Milesine portaient une allure distinguée. La lune éclairait leurs échanges enrichis de mots raffinés. L’hôte avait les bras croisés tandis que la dame figeait gracieusement ses bras le long de son corps. Ils étaient semblables à deux statues de marbre qui ne se meuvent que lorsqu’on détourne le regard. Aussi Ferdinand légèrement mal à l’aise n’osait détacher son attention. Ce comportement aurait pu être perçu comme offensant. Mais Fold préféra ne pas le relever. L’invité salua avec respect. Tous échangèrent les politesses rituelles. Varonn Fold, ordonnant ses cartes et notes expliquait à ses invités la militarisation poussée de la ville par les combats réguliers qu’il devait mener avant d’attaquer le dur de la conversation :

“- Sachez, monsieur Ferdinand, historien du Fray, que votre chanson nous est parvenue. La curiosité me pique donc sur un point. Lors de vos pérégrinations, décidez vous à l’avance de votre prochaine étape ou laissez vous le hasard vous guider ?

- Monsieur Fold, je ne suis que le modeste mécène de la Grande Bibliothèque, pas son historien, répondit l’invité. Pour le reste, chacune de mes quêtes succède à la précédente. J’y cherche d’abord la gloire.

- La gloire, s’étonna l’hôte. Je ne suis pas certain de vous suivre. Vous qui signez sur l’honneur, vous cherchez à vous glorifier?

- La gloire pour la maison Cassadet et pour le Cressac, posa Ferdinand. La gloire aussi pour les grands que je visite. Car, les voyant à travers la chanson que compose ma fidèle Rossi à chaque étape, tous découvrent aussi quels seigneurs ils sont, quelles villes ils bâtissent, quels idéaux ils cultivent. Je me fais l’échos de leur histoire.

- Une quête pour le moins hasardeuse donc, sourit Varonn. J’aurai bien évidemment une tanière de monstres à vous proposer mais ce serait indécent de vous attacher à mes petites affaires.

- Il y a longtemps, mon ancêtre Renaud a volé l’oeuf du dragon Gwilgaadesh, raconta Ferdinand ne comprenant pas entièrement l’allusion. Si ce n’est un dragon, ce seront des monstres. C’est ainsi que vont les chevaliers de la quête.

- Historien, mécène et chevalier, la liste de vos titres s’allonge, piqua l’hôte.

- Mais ne craignez-vous donc pas la mort, intervint Milesine?

- Madame, se réjouit le chevalier de la quête pouvant étaler ses mérites, souvent ce sont des simples animaux que les paysans croient fantastiques. Dans leurs frayeux, les loups et les sangliers deviennent des démons. Cependant, je suis persuadé qu’embellir une histoire donne de l’imagination au monde. Sans héros ni légende l’humanité de chercherait toujours la grandeur. Et puis, j’ai mes deux chevaliers pour m’aider.

- Les monstres dont je vous parlais sont bien humains et trop nombreux pour vos deux chevaliers, plaisanta l’hôte. Quant aux dragons, le monde mérite plus la paix que la violence des contes. Mais ces histoires de sorcellerie dans le Sud obscurcissent nos temps.

- J’y songe maintenant, reprit la dame. Chantebois bruisse d’une histoire héritée de générations en générations qui pourrait sans doute vous convenir. Il est dit que certaines régions montagneuses abritent une race de bêtes rare. Leur toison sont chaudes comme de la laine et légère comme la plume. Celle-ci ne sont pas aisées à chasser.

- Mais bien sûr, insista Varonn devant le regard avide de l’invité. Un animal nocturne, dont les deux pattes de gauche sont plus courtes d’une tête que les deux de droite. Ou inversement selon que l’animal ait grandi en marchant dans un sens ou l’autre sur le flanc de la montagne. De grandes battues ont lieu chaque année dans l’espoir de ramener le poil de la bête. Seulement jusqu’à aujourd’hui je ne connais personne qui puisse témoigner de l’avoir vu. Mais peut-être devriez vous pousser au sud ouest. Nos chasseurs y ont quelques secrets.

- Animal ou rumeur, voilà un bruit qui mérite mon attention, dit Ferdinand se tournant vers Rossi. A l’aube, nous chevaucherons. Je vous remercie monsieur Fold et vous dame Beaumont. Vous nous portez, moi vers la gloire, mes chevaliers vers leur honneur et le monde vers une belle histoire.

- Alors les plus lucides sauront avec amusement que vous aurez attrapé cette bête improbable que personne n’a encore capturé, conclut Varonn avec un clin d’oeil vers Milesine. Mais patientant, trouvez ici de quoi vous satisfaire. Quand à votre sommeil, Havrenuit ne dispose pas de logements de grand luxe mais choisissez une auberge en ville. Restez-y tant que vous le souhaitez. Nous couvrirons la totalité de vos frais à la condition que vous nous rameniez cette fourrure fantastique.”

Ayant laissé avec révérence Varonn et Milesine dans une mystérieuse discussion, Ferdinand, persuadé de son succès prochain, choisit l’auberge la meilleure. Elle bordait la place de la croix d’argent nommée selon la frappe ininterrompue du métal précieux par les orfèvres de la ville. Bien installés, ils débutèrent leur soirée dans la Bellétoile de Sombreval. Rossi attira quelques clients raffiné avec qui le seigneur discuta allègrement. On parla d’abord de musique puis de danse. Mais ce n’est qu’à la dégustation de la Divine Ambrée d’Olut PiiriPuis qu’on venta les écrits de Milésine Beaumont sans oublier de questionner si la qualité des écrivains du temps valait celle des anciens. Quelques officiers les rejoignirent et se firent élogieux sur les compétences de stratège de Varonn Fold. Le rire gras de Ferdinand retentit tard dans la nuit. Seul le chevalier Laurent était resté un peu à l’écart du jeu. Un enfant lui avait remis discrètement une lettre de papier mat fermée par un sceau de cire blanche et surmonté d’un ruban bleu.



Chapitre cinq - L’idiot du village (partie 2)



Le soleil commençait à s’élever derrière les frênes d’Havrenuit. Le chevalier Laurent, observait l’ascension. Les ombres se tassaient sur les toits d’ardoises et les murailles de granite. Dans les rues toujours plus de formes humaines se mouvaient maussadement. Un chien passa sous ses carreaux. L’animal tourna le museaux vers le chevalier. Il resta un instant à fixer l’homme puis il remonta prestement la place courant vers le matin. Alors qu’il le suivait du regard, Laurent se demanda ce qui l’avait attiré ainsi. Le dôme d’acier du grand temple réfractant les rayons l’aveugla un instant et il perdit le chien de vue. Derrière lui le bois craqua doucement. Depuis le couloir, des pas cliquetant tentaient infructueusement de se faire discrets. Les gonds de la porte couinèrent mais il ne se retourna pas.

Rossi entra prestement dans la chambre. La chevaleresse posa la main sur l’épaule de Laurent. Il lui fit lentement face et le contre-jour l’auréola. Il la regarda gravement. Tous deux sortirent pour se rendre aux écuries. Il y enfourchèrent leurs montures. Lorsqu’ils quittèrent la ville alors les boucliers qu’ils portaient attachés dans leur dos commençait à chauffer sous le soleil.

Sa joue le brûlait. Ferdinand ouvrit un oeil et les rayons matinaux l’éblouirent. Hébété, il tourna la tête vers le mur et appela brumeusement Rossi. Seuls le frottement du drap sur la paillasse gratta désagréablement ses oreilles. Il appela encore. Puis une troisième fois. Pensant que sa fidèle préparait les provisions en compagnie de l’aubergiste, il entreprit de se lever. Son bras était engourdi et il retomba surpris. Il patienta un peu puis parvint à s’assoir sur le bord du lit. Les plis de son ventre le fascinèrent un instant. Puis il se redressa et pour ne pas exposer sa virilité, il s’enroula dans le drap encore humide de la transpiration nocturne. Ainsi, vêtu il s’avança vers la fenêtre pour l’ouvrir. L’air matinal lui claqua le visage. Havrenuit résonnait à ses oreilles du travail des artisans, du fraca des charretiers et des cris des marchands. Il sourit à la ville qui lui semblait célébrer son réveil.

Tandis qu’il appuyait son coude sur le rebord de la fenêtre, un bruit de bottes attira son attention. Un groupe d’homme armés traversait la place. Les suivants du regard, il remarqua que leur bras gauches étaient armurés par dessus leur uniforme. Se rappelant la description faites par l’aubergiste il compris qu’il s’agissait de militaires en civil. Alors que les soldats disparaissaient derrière les vitres d’une pâtisserie, le voyeur remarqua trois femmes qui avaient jetaient un regard étonné sur son accoutrement.Il s’esquiva en souriant de l’embrasure et jeta le drap. Il se passa un rapide coup d’eau froide sur le visage avant d’enfiler gauchement ses vêtements. Puis il revêtit ses mailles et enfila ses longues bottes de cuir. Il enfila son tabard qui laissa glisser une lettre sur le sol. Pliant ses jambes pour la ramasser, il reconnu le sceau brisé de cire blanche embellit d’un ruban bleu. Il la déplia redécouvrant l’écriture anguleuse et les marges serrées. Cette lettre avait été rédigée de la main de sa soeur et suzeraine Blanche de Cassadet.

Relevé pour mieux lire, il serra les dents avec plus de force à mesure qu'il parcourait enjambait les lignes. Ses tampes battaient et la sueur perla à son front. En substance, le sieur Petyr Helloway, un des vassaux de Blanche avait été le sujet d’une odieuse tentative d’assassinat. Tous les chevaliers du Cressac étaient rappelés pour assurer la sécurité de la noblesse. Ce n'est que lorsqu'il eut reposé le papier que Ferdinand realisa qu’il était seul à présent. Il descendit dans la salle commune.

Attablé, il sombra rapidement dans le vin, se désespérant de continuer sa quête. Le chardonnay de Mont-Morrin le sauva de ses plus sombres pensées. Pendant deux jours, il partagea avec les clients ses sentiments sur l’incommensurable difficulté que lui représentait la tâche de chevalier de la quête. Bien qu’il les ennuya, il payait bien. Aussi l’aubergiste l’entretenu en boisson. Au soir du deuxième jour, un noble de Tetra Boréal supérieure, Jean Fil Droit, fatigué de l’ivrogne qui troublait son repas lui livra des informations sur la toison promise à Varonn Fold et Milesine Beaumont. Il les tenait d'un ami, dont le père avait connu un pécheur qui aurait un jour croisé la bête. Ferdinand s’effondra sur la table avant la fin des explications. Il fut remonté dans sa chambre par deux hommes qui en profitèrent pour se servir furtivement dans le tas de pièces qui coulaient de sa bourse.

Le matin du troisième jour, perdu entre une sensation de flottement et la conscience de son devoir, Ferdinand rassembla ses affaires. Ses pas lourds vibrèrent le long des escaliers. Il avala rapidement un repas qui compensait sa frugalité par sa qualité. Planifiant son voyage, il étala les oeufs sur le pain de seigle. Puis il engloutit la tranche du jambon qui les accompagnait. Il n'avait pas goûté meilleurs réveil depuis le Fray. Pour achever le tout, il pris le temps d’une bière. D'une certaine façon, la solitude lui avait rendu sa liberté. Il acheva ses préparatifs avant de se rendre à l’écurie. Il tira sa monture sur la place et retrouva son habituel sourire.

Au loin, les roulements imposant de catapultes massives grondèrent tandis qu’une colonne de soldats progressait en rang sous ses yeux amusés. La cité lui semblait très clairement se préparer à se défendre. Mais cela ne lui importa pas. Il quitta la place de la Croix d'Argent en direction du Nord. Sa mission était ailleurs et le soleil était haut dans le ciel.



Chapitre six - Une mauvaise nuit



Le jasement d’un geai ricocha dans la forêt. La pluie était fortement tombée les derniers jours comme l’humidité tenace en témoignait. Ferdinand de Cassadet tourna son regard vers les branches. Il sourit et siffla de son mieux en direction de l’oiseau. Un court silence puis le geai répondit. Leur conversation persista longtemps. Puis fatigué de son contradicteur, l’oiseau se tu. Le vent remuait les branches et des gouttes éparses tombèrent. un grondement sourd roula au loin. Levant son séant de l’herbe mouillé, il le frotta de la paume de sa main pour se réchauffer. La fraîcheur le suivit alors que qu’il remontait la pente de terre molle couverte de feuilles mortes qui menait à sa retraite. Sur le chemin, il tomba sur des champignons qu’il arracha à la terre.

Ayant achevé son ascension, il pouvait dominer malgré les feuillages la maison qu’il empruntait sur ces terres reculées. Le pierre moussue et le bois vermoulue et à la toiture douteuse entourée d’arbre élancée rendaient le lieu intime. Etrangement, il s’y plaisait : le sentier dévalant jusqu’à la porte de chêne et la racine dépassante qu’il fallait éviter. La porte lourde qu’un coup d’épaule débloquait. Le crépitement du banc quand il s'asseyait dessus. La table rapeuse sur lequel il étalait ses papiers et empilait ses lettres et livres venus du Fray. L’âtre et le bois qui fondait silencieusement répandant cette odeur si douce et caractéristique de la tranquillité. Il travaillait là jusqu’à tard dans la nuit puis il s’endormait. Tôt le matin, le froid le réveillait. Son feu s’étouffant, il le ravivait avec les quelques bûches. Puis lorsque le soleil frappait la surface des lacs il rejoignait la rive. L’eau s’y évaporant en fumée compacte rampait jusqu’à la berge et rejoignait les sous-bois de pin, d’épicéa et de chêne. Devant ce spectacle, il s’allongeait sur le rocher bordant les eaux, celui qui était le plus exposé, et retrouvait un deuxième sommeil. Enfin, lorsque la matinée était suffisamment avancée, il s’en allait trouver de la nourriture et en revenait au soir.

Mais l’accalmie de cette fin d’après-midi avait laissé Ferdinand plus optimiste qu’à l’accoutumée. Aussi se prit-il à plonger une main dans le sac de provisions qu’il se faisait parvenir de sa seigneurie du Fray. Ainsi pour repas, il ajouta aux quelques champignons qu’il avait cueilli deux oeufs de ses terres. Il se coupa une tranche de jambon de pays de Cressac et déboucha une des bouteilles de vin que sa soeur et suzeraine Blanche de Cassadet importait de Sainte-Horste. Oubliant un peu son titre de chevalier de la quête il goûtait ainsi avec tendresse à la solitude. Non que la compagnie humaine le révulse, mais le départ de ses deux chevaliers l’avait rendu revêche à toute fréquentation. Les jours passant, il s’était habitué son isolation. Et même s’il accueillait avec joie le ravitaillement, il trouvait dans cette vie d’hermitage l'apaisement qui lui manquait depuis son départ. Ces journées de mouvement étaient usantes et la légèreté des repas avaient reformé sa bonhomie. Epuisé, il s’allongea et la nuit l’englouti.

La lune était obscurcie de fourbes nuages si bien qu’on ne distinguait plus formes ni couleurs. L’air semblait s’épaissir et chaque son parvenait plus étouffé que le précedant. Le vent se tut et le feu dans l’âtre vira vers bleu sournois. Un geai couronné de quatre globes oculaires en surgit. Traversant les flammes sans paraître importuné, il se posa sur la table soulevant pages et poussières. Il cajola à l’attention du dormeur mais n’obtint qu’un ronflement sonore en retour. Il reprit, plus fort, le jasement se mua en mots :

“- Bonsoir gardien, sortez de votre prémort, nous avons à parler.

- Fouttre-Diable Rossi laisse moi dormir, rala Ferdinand en repoussant les mots d’une main hésitante.

- Nous sommes seuls gardien, recommença le geai un peu agacé. Nous avons à parler levez vous.

- Voilà, voilà, marmonna Ferdinand se retournant et posant les yeux sur l’oiseau. Qu’est-ce que c’est que...

- Gardien, tenta une fois de plus l’oiseau. Je dois vous parler d’une affaire importante.

- Non c’est bien l’oiseau qui est parlant, se redressa l’homme. Fumeries de champignons, voilà que je délire.

- Ai-je votre attention gardien, questionna le geais? Nous avons peu de temps pour échanger.

- Ah, lâcha Ferdinand. Donc ce ne sont pas les champignons, l’oiseau parle vraiment

- Gardien, le temps presse, s’agaça le geai dont les yeux clignaient successivement. Je suis l’Hèrm.

- L’apocrisiaire, souffla Ferdinand soudainement parfaitement réveillé. Je savais votre existence par le toucher de la pierre de Lac. Je me cède devant vous Porte-Verbe.

- Alors réponds-moi donc simplement, imposa l’Hèrm légèrement flatté par les mots exagérés du Gardien. Cherches-tu vraiment la toison ?

- C’est que nul n’a été exigeant en délais, s’excusa l’homme. Mais cette quête revêt une clarté plus glorieuse à présent.

- Je suis ravis de savoir que celui que la pierre a choisi ne se laissera pas ralentir par une tendre existence, méprisa le geais. La toison n’est pas une simple peau. Elle possède de fantastiques pouvoirs qui seront utile au monde. Mais celle-ci ne peut être trouvée que par ceux qui se libèrent de leur âme. Tu sauras toutes les significations mais pas dans l’instant. Sous sept jours, le fil de ton destin sera croisé par un autre. Alors, suis la route que l’on t’as déjà indiqué.

- Je ferai selon les mots du Porte-Verbe, s’agenouilla Ferdinand. Car une terrible menace pèse sur le monde et mon nom sera glorifié en le sauvant.

- Je ne crois pas avoir dit cela, ria l’Hèrm.

- Mais n’aviez vous pas assuré que le temps va pressant, hasarda Ferdinand incompris?

- En effet je l’ai dit, jasa le geais. Mais ce que tu nommes temps ne me concerne pas. En revanche la fugacité de cet instant au regard du fil de ton existence ne m'ôte pas de la lassitude qu’il procure. Tu n’as pas besoin de comprendre ce qui m’évite de tout t’expliquer. Je suis venu m’assurer que tu suivras convenablement le fil.

- Que faire dans l’attente Porte-Verbe, questionna Ferdinand?

- Je te l’ai dit, tu n’as pas besoin de tout savoir, railla une dernière fois l’oiseau. Car voilà que je suis déjà parti Gardien,”

Le geai disparu dans les flammes sans un bruit. Celles-ci reprirent leurs couleurs chaudes et nocturnes. Dehors la nuit battait les carreaux. Ferdinand passa lentement de l'âtre à la fenêtre. Il plongea son regard dans l’abysse. Pendant quelques minutes, seul le feu sembla vivre. Il y reposa une bûche avant de passer une main moite sur son visage et sa barbe. Réfléchissant à sa rencontre, il se gratta successivement la mâchoire et le cou. Puis s’asseyant, il entreprit de rédiger le contenu de sa discussion dans la crainte de l’oublier au lendemain. Il tira une feuille. La plume crissait désagréablement en grattant le papier. Tombant de fatigue, il ne termina jamais son travail, engloutit dans un sommeil abyssal.



Chapitre sept - Les pieds dans l’eau (partie 1)



Le corps projeté frappa la boue grise et gaugée. Un amas de vase se souleva alors que le visage de l’homme s'enfonçait à demi dans un bruit de succion humiliant. Révolté, ce dernier poussa de ses deux bras et Langue en avant, il recracha de la terre et son indignation. Ses mains disparues dans la mélasse ne l'empêchèrent pas de brailler des injures contre la petite troupe de miliciens qui venaient de lui infliger tel traitement. Ce spectacle les réjouissait et ils riaient de l’infortuné qui tentait en rampant de rejoindre la terre ferme. Mais quelques minutes suffirent à les lasser et il retournèrent aux porte de la cité sur l'injonction de leur chef.

Sur la berge, l'homme parvint finalement à se hisser sur un monceau de terre dure. Épuisé par l’effort, il roula sur le dos. Sa barbe avait un goût de terre et ses atours rouge et or commençaient à s’imprégner de crasse. Il exhala et inspira fortement pendant quelques minutes avant que sa respiration ne retrouve une allure apaisée. Tout son corps le pesait et il se laissa poser les yeux vers le ciel. Ainsi il voyait une muraille de briques orangées s'élancer sous le soleil de midi. Elle s’élevait menaçante au dessus de lui semblant se courber sous toute sa hauteur. A ses pieds, l’onde s'écoulait avec douceur en répondant aux murmures de la ville. Un chat miaula derrière un fourré et quelqu’un jeta les restes d’une pomme depuis le parapet. Ils s'écrasèrent non loin. Des insectes bourdonnaient alentours et deux oiseaux crevèrent le ciel. Lassé, il se laissa aller à la rumeur de l’été. Il appréciait maintenant le calme de son malheur. lentement il s’endormit alors que ses vêtements se couvraient d’une fine pellicule de poussière sous les rayons du soleil.

Un contact froid et liquide fracassa ses songes. Se redressant à demi, il secoua la tête en grognant. Des gouttelettes filèrent en tout sens avant qu'il n'ouvre un oeil. Un visage se détachait sur l’azur. Il écarquilla largement les yeux. Une femme à la peau légèrement tannée, aux yeux amandes et très sombres le fixait. Elle était entourée d’un petit groupe de chevaliers. Son front altier était ceint d’une couronne d’or et de rubis d’où s’écoulait une cascade de cheveux bruns plongeant vers le blé. Une timide balafre à la pommette droite tranchait sur ses joues saillantes avec un sourire léger. Elle parla d'abord, d’une voix claire et distincte :

“- Vous êtes le seigneur Cassadet.

- Oui, dit-il un peu hébété. Et à votre manteau d’hermine, je suppose que vous êtes la sérénissime princesse Vantaa.

- Je vous attendais plus tard, fit-elle simplement. Vous n'êtes pas venu semer le trouble ici. Mes saufs conduits vous garantissaient libre passage.

- La milice de votre ville n’a pas appréciée que je mette du temps à les retrouver, expliqua-t-il en se relevant. Je marchais, admirant vos rues et, alors que j’arrivais sur le parvis de votre cathédrale, une patrouille de milicien m’a traîné hors de la ville, confisquant mes affaires et mon cheval. Ainsi me voici maintenant les pieds dans l’eau.

- Venez avec moi, ordonna-t-elle après un court silence. Je vais faire retrouver vos affaires tandis que vous découvrirez la ville. Mais d’abord rincez-vous un peu.

- Princesse, vous me faites trop d’honneur, dit-il avec une révérence maladroite.”

Deux seaux d’eau le transpercèrent de froid quand les serviteurs de Savonie Vantaa exécutèrent les ordres princiers. Il attendit que le princesse ne se retourne avant de s'autoriser une mine mauvaise en accueillant une serviette de tissu râpeux qu'on lui tendait. Il se pressa de rejoindre le cortège princier en se frottant le visage. Puis, il pénétra pour la seconde fois, la cité d'Eau Valtis.



Chapitre sept - Les pieds dans l’eau (partie 2)



Le capitaine Beaubois s’inclina lorsque la princesse Vantaa passa la porte. Elle lui rendit son salut d’une main légère. Puis, se retournant, elle posa un regard perçant sur son invité. Ferdinand, lavé et parfumé la suivait à distance respectueuse. Il pondérait son inadaptation par un sourire qui se voulait affable. Mais sa démarche lourde et son front perlant le trahissait. La princesse fut partagée entre dégoût et pitié mais elle ne laissa rien paraître.

Les quelques jours de discussions échangées mêlant politique et philosophie sur fond de religion lui permettait maintenant de supporter cet homme à l’apparence repoussante.

Il soutînt son regard. Face à face sous la grande verranda, ils se fixèrent avec violence. L’air moite de la ville passant à travers la fenêtre arquée leur amena les bruits des ferrailleurs. Il détourna finalement le regard vers le paysage. De cette hauteur, on pouvait apercevoir la ville. La princesse s’assit satisfaite sur le banc de bois lisse, signifiant à son invité de rester debout. Reconnaissant l’impolitesse dont il avait fait preuve, Ferdinand s'exécuta. Il ne savait pas de quel sujet elle désirerait se distraire mais lui avait une tout autre idée en tête.

La cité d’Eau Valtis éclatait sous le soleil. Les toits de briques ondulaient sous la chaleur. Un serviteur apporta des rafraichissement. Ferdinand échangea un nouveau regard avec la princesse et tous deux sourirent en observant le fidèle. Puis le l’invité retourna à la vue. Il lui était difficile de fixer les maisons de pierres apparentes car leur blancheur reflétait vivement le soleil. Il dériva sur les bâtisses de briques. Celles-ci plus anciennes datant de l’administration de la famille Valtis, lui permettait de reposer ses yeux. Les jardins de la ville haute qu’il apercevait en contrebas pétillaient de cris d’oiseaux et, perçant les toits, s’élevait la cathédrale Sainte Eli. Cet édifice reflétait la dévotion de la princesse. Lors de sa visite, il avait pu contempler les vitraux dédiés aux sept dieux et avait surtout retenu la représentation d’une scène de bataille où la reine Earendil et la princesse Vantaa combattait les Myrmidons sous les augures de Quallash.

Relevant la tête, Ferdinand prit une profonde inspiration. Il avait découvert progressivement son hôte et ce qu’il voulait faire allait surement se heurter à l’intransigeance religieuse de celle-ci. Il imposa ses yeux à la princesse avec intensité. Elle remarqua son regard et se sentait déjà lasse d’une conversation à venir. Mais cédant aux usages, elle ouvrit la discussion.

“- Vous désirez mon avis seigneur Ferdinand.

- Votre altesse, je ne désire que m’ouvrir à vous sans crainte, feigna-t-il d’une courte inclination. Nous avons déjà beaucoup discuté de politique et de religion, de philosophie et d’histoire. Vous le savez, on me surnomme l’historien mais je ne suis que le mécène de la Grande Bibliothèque. C’est à son propos que je requiers votre intelligence.

- Votre travail est respectable et d’autres vous lisent. Mais il est évident que vous veniez cherchez la gloire.

- Pas seulement, voilà que je suis empêtré dans une sale histoire, tenta-t-il mystérieux. Une histoire de savoir et de confrérie, de candeur et de méfiance.

- De Confrérie? demanda-t-elle, haussant un sourcil acéré.

- De murmures et de ma bibliothèque.

- Je crois que je n’apprécie pas cette histoire. Je suis en froid avec cette Confrérie.

- Je le sais.

- Vous le savez, posa-t-elle menaçante. Peu de gens l’ont su. Les gardes qui vous entourent ne le savent pas. Et vous ne le saurez plus bientôt si votre histoire est déplaisante.

- Peut-être m'autoriseriez vous à commencer par la Bibliothèque?

- Pesez chaque mot, seigneur Ferdinand. Parce que j’apprécie les récits de vos exploits.

- J’ai fondé la Grande Bibliothèque du Fray car j’ai voulu que ce monde ait une place où rencontrer son passé. Un lieu de savoir ouvert à tous. Aussi ai-je réunis quelques savants de mon entourage et financé de grands travaux. Mais les temps passant, la Bibliothèque à capté les regards. L’Empereur d’Haraden lui-même a noblement demandé une copie de nos archives. Demande que la Bibliothèque a refusé car elle avait d’autres plans.

- D’autres plans que vous avez partagez avec une assemblée d’espions qui ont la méfiance de nombreuses cours du monde, susurra-t-elle.

- Je sais la crainte que la Confrérie peut engendrer. Je me suis toujours exercé à faire la part. Et ce, dès que je fus abordé peu après avoir quitté la maison Vendemort. De prime abord, je leur ai refusé mon aide immédiate. Puis découvrant qu’ils jouissaient alors d’une bonne réputation, je leur ai ouvert les portes de la Bibliothèque s’ils désiraient s’y réfugier. Puis, la possibilité de rassembler des informations pour les chapitres de la Bibliothèque m’a poussé à les rejoindre.”

La Princesse serait le verre ciselé avec force mais son visage restait impassible.

“- J’ai toujours voulu que d’autre se lancent dans ce sillage, continua-t-il. J’ai rêvé d’un réseau de Bibliothèque indépendantes qui partageraient des valeurs identiques et une méthode semblable. De sorte que l’agglomération de leurs pensées permette de projeter le monde vers le meilleur. Je ne vous ai pas trompé, je suis venu à vous pour chercher la gloire dans l’espoir que vous me confiriez une quête. Mais je suis tourmenté depuis trop de semaines. Les récentes altercations qui ont éclatées partout dans plusieurs cours contre la Confrérie me posent un difficile choix. Et, par votre expérience, vous serez moins aveugle que moi pour m’éclairer. Pour garantir l’existence et la survie de mon projet je dois choisir entre marcher dans l’ombre de la Confrérie ou sortir à la lumière et éviter la méfiance.”

Elle reposa délicatement le verre sur la table et marcha jusqu’à la fenêtre. Son regard sauta par dessus les remparts et dévala les cimes de la forêt pour plonger dans la mer.

”- Maintenant je m’absente seigneur Ferdinand. Et vous restez à Eau Valtis. Le chevalier Bob va s’en assurer.

- Je vous remercie princesse, mais si je vous ai offensé, je peux disparaître de votre vue.

- Vous savez, je n’aime pas ce chapitre. Mais vous êtes chevalier de la quête et bon historien, s’adoucit-elle un instant. Vous restez à Eau Valtis jusqu’à mon retour.”

Elle quitta la pièce tandis que le chevalier Bob posait une main métallique sur l’épaule de Ferdinand.



Chapitre sept - Les pieds dans l’eau (partie 3)



Ferdinand observait l’océan. Le pont était désert à cette heure et la lune se voilait de nuages. Appuyant ses deux mains sur le bastingage, il joua avec la lanière d’un des boucliers de la rangée. Installés le long des travers, ils ne servaient plus à former ce mur protecteur à l’allure menaçante mais commémoraient les origines de la maison Vantaa. Lentement, la chaleur de la journée s’effaçait. Deux mouettes passèrent, au dessus de l’étendue marine. Les eaux étaient différentes de son pays, plus pâles et moins bruyantes. Les falaises avoisinantes qui tombaient brutalement de chaque côté de la vallée donnaient l’impression de pouvoir marcher sur cette étendue presque plate. Mais les embruns avaient la même odeur de voyage et de solitude.

Il tira une feuille de papier très fine ainsi qu’une petite boite remplie de morceaux de plantes sèches très sommairement broyées. Il étendit la feuille entre les doigts de sa main gauche puis, successivement y déversa trois pincées depuis la petite boîte. Tirant chaque extrémités du papier tout en appuyant de l’index pour lui garder une forme concave il entreprit de le rouler. Après quelques tentatives infructueuses, il parvint à obtenir une forme vaguement cylindrique. Souriant, il porta son oeuvre à la bouche et sortit une boite d’allumette de son manteau. Le boit craqua et la flamme crépita. Achevant son rituel, la braise rougeâtre éclairait sa barbe tandis qu’il tirait sur sa cigarette. Un marin lui avait fait découvrir ce rituel plus tôt dans la journée, et il y avait honteusement pris goût. Il avala une longue bouffée et la recracha lentement par ses narines. La fumée blanchâtre rompait le calme des eaux. Les mouettes crièrent et il ferma les yeux. Le clapotis des vagues lui reposait l’esprit.

Des frôlements de tissus à son côté le ramenèrent de ses rêveries. Une femme dont les cheveux ébènes et argents casacadaient en zébrures avançait vers lui avec la prestance d’une tigresse. Sur son visage subtilement en forme, elle arborait un sourire enfantin. La jeune femme semblait n'être qu'une constellation formée par les petites pointes brillantes qu'étaient les perles affleurant ses tissus et les parures de son front. Il fut captivé par les deux pupilles qui brillaient étrangement dans la nuit. Malgré sa chemise ample qu’elle avait rentrée dans son pantalon de cuir, elle ne semblait pas atteinte par la fraîcheur de la soirée. Elle leva l’index et le majeur. Ils bravaient le nez du chevalier de la quête tandis que le pouce, l’auriculaire et l’annulaire semblaient tenir un objet. Elle écarte tous ces doigts d’une manière cabalistique et une courte chaîne se déplia. Au bout de laquelle celle-ci se balançait un médaillon. Il lut l’inscription qui le couvrait. En lettre de bronze trois lettres reflétaient les braises: VOX. Elle saisit la cigarette entre deux doigts et l’écrasa sur le pont. Prenant sur lui, il enfonça un regard volontairement appuyé au plus profond de ses yeux :

“- Que faites-vous là Zephyr ?

- Vous avez écris une lettre. Une lettre qui s’est envolée. Une envolée que nous avons prise. Une prise qui m’a menée à vous. Et je dois ajouter que c’est un honneur pour moi de vous rencontrer, dit-elle appuyant son sourire. Vous désiriez une entrevue, n’est-ce pas? demanda-t-elle s’appuyant sur le bastingage.

- Il ne fallait pas venir ici, pas maintenant, nous sommes sûrement surveillés. Les soldats d’Eau Valtis peuvent paraître à tout moment et vous me mettrez dans l’embarra.

- La lettre que vous nous avez envoyé laissait entendre que vous n’étiez pas sûr de votre appartenance. Vous savez ce que cela signifie? continua la femme, les yeux perdus vers l'horizon, d'un ton calme et léger, en ignorant totalement les notes d'inquiétude qui dansaient dans la voix de Ferdinand.

- Je le sais Zephyr. Mais nombreux et puissant sont les adversaires qui pénètrent dans l’ombre. Chacun de leur pas à travers les limbes les rapproche. J’ai toujours apprécier la beauté de l’idéal, mais je n’ai plus la certitude que la Bibliothèque soit en sécurité.

- Nos alliés sont puissants et chaque jours plus nombreux. Votre Bibliothèque ne craint rien. J’ajoute que vous êtes précieux pour nous, dit la femme, en se retournant vers lui et en effleurant son visage d'un geste tendre.

- Je sais que nos alliés sont nombreux. Mais les fous de dieux se révèlent à la lumière de leur divagations religieuses. Je ne peux permettre que les écrits ne souffrent le feu des fanatiques.”

Elle s’avança à quelques pas, se penchant sur son oreille. Irrité par son impudence, il se surprit à la laisser faire. Sa voix n'était qu'un murmure, comme ceux qu'il avait entendu lorsqu'il s’était laissé allé à utiliser ce qu'ils appelaient le Don d'Erole.

"- Nous savions que vous diriez cela. Notre message : bientôt se tiendra un conseil, votre intérêt est d’y assister. D’un souffle vient la brise et d’un murmure vient la tempête.

- Je comprends, souffla-t-il. Ainsi donc vous...”

Le bruit cliquetant et réguliers des armures de mailles se fit plus bruyant tandis que deux gardes approchaient.

“- Menacez-moi, chuchota-t-il !

- Pourquoi?

- La princesse Vantaa va penser que je la trompe si on me découvre vous parlant. Et je ne peux envenimer la situation.

- Cela n’a aucun sens, nous sommes pacifiques, personne ne vous croira.

- Vous ne me laissez pas le choix, dit-il sortant son poignard.

- Vous n’avez aucun intérêt à faire cela, la Confrérie saura vos agissements !

- Taisez-vous, je vais vous livrer à eux, dit-il en plaçant son poignard dans la paume de la femme tout en saisissant son poignet.”

La femme affolée tira pour essayer de s’échapper puis de sa main libre gifla Ferdinand. Il sourit férocement, une légère griffure sur la joue. Les gardes débouchèrent au détour d’une caisse tandis que le chevalier mimait la lutte et attendit quelques instant pour lâcher sa prise. Accourant à grand cris, le guet n’eut que le temps de voir la Zephyr disparaître en sautant depuis le ponton. Ferdinand se pencha par dessus les eaux:

“- Vous l’avez manquée messieurs.

- Messire, vous a-t-elle fait du mal?

- Je vous rassure, dit-il reprenant la cigarette écrasée. Je vais bien.”

L’allumette craqua et le feu éclaira un immense sourire sous l’épaisse barbe.



Chapitre huit - Blanc-seing (partie 1)



Engoncé dans des couches de fourrures, Ferdinand joignait la seigneurie du Harque, enfoncée très loin dans les terres. Son voyage depuis la côte durait depuis longtemps et il ressassait la suite d’évènement l’ayant apporté à traverser cette étendue glaciale. Deux semaines plus tôt, au départ d’Eau Valtis, il avait prévu de rallier Antrelac, Port-Avria à bord d’un navire de commerce. La princesse Vantaa lui avait fait réserver une place en vertue d’une auguste mission. Mais pendant la courte escale du navire sur l’île de Zaldor, le capitaine n’avait pas attendu le retour du chevalier de la quête pour repartir. Alors, cherchant un bateau au milieu d’individus ne parlant pas sa langue, il s’était retrouvé embarqué pour le Grand Nord. Rassuré d’avoir trouvé un moyen de transport, il ne comprit son erreur qu’au départ de la troisième escale partant de Frizor pour Vladivostok en Septima.

En fait de port, Vladivostok était surtout un amas de planches et de clous que réchauffait quelques cheminées mais surtout les grandes quantitées d’alcool importées de Tetra. Car si Septima était une terre désolée, sans cesse couverte de glace où rien de pouvait pousser, sa véritable richesse était la fourrure d’hermine qui avait attirée les avarices. De partout étaient accourus des mercenaires en quête de richesses, de missionnaires voulant étendre la foi aux rares bordels qui se bâtissaient et des compagnies de commerce ambitieuses de profits. La Compagnie des Dix Associés envoyée du Cressac par monsieur Bacquereau était de ces dernières. Le ventripotent marchand était satisfait d’avoir dérobé le fructueux marché à la Compagnie des Cressac. Mais la finesse de cet homme était d’avoir su établir un domaine plus profondément dans les terres, entre les montagnes. Là, les températures étaient plus dures et les animaux s’y cacheraient au plus fort de l’été. Monsieur Bacquereau qui flânait sur les quais de Vladivistok en quête de navires pour transporter sa marchandise avait reconnu Ferdinand de Cassadet, frère de la suzeraine des Cressac. Il lui avait ainsi offert de passer la nuit sur les terres de chasse de la compagnie dans l’espoir de quelques faveurs. Le marchand resté sur le port pour affaires, il

Il commençait à faire sombre. Non que le jour s’éteignit, mais la neige affluaient de tous sens. Pourtant la tempête avait semblé souffler moins fort quelques minutes auparavant. Elle cinglait sur sa joue droite à moitiée dissimulée sous une épaisse fourrure. Les chevaux de l’attelage s’étiraient et prenaient une bonne allure. Une clochette annonçait leur présence. Ferdinand se sentait flotter. Un blanc féroce l’entourait et il se cala au mieux. Cela le réchauffa. Il tira une bouteille d’une doublure et avala deux gorgées de son contenu. Le liquide glissa au fond de sa gorge puis une chaleur fulgurante le parcouru. Il s’ébroua. Cela le réchauffait. Et tandis qu’il se plaisait à regarder les flocons dessiner de long traits blancs, ses sens déraillaient dans une chaleur tiède.

Surgissant des tourbillons une femme à moitié nue se détacha sur la neige et venait dans sa direction. Il regarda sa bouteille la soupesant de sa main, et s’attarda à regarder l’arrivante. Elle portait de nombreuses fourrures et ornements de dents et d’os et serrait dans sa main droite, une courte hache gravées de runes. Ses cheveux roux étaient attachés à l’arrière de son crâne en un chignon simple. Elle sauta prestement à son côté. Convaincu de délire, il explosa de rire. Surprise, elle s’assit sur les peaux à son côté, posant le fils de son arme sous sa gorge :

“- Que se t’arrive-t-il étranger? Tu t’es perdu dans la tempête de neige?

- Je me perds toujours dans les tempêtes de neige, c’est plus fort que moi.

- Tu es amusant. Es-tu de ces envahisseurs qui viennent prendre la terre de mes ancêtres pour quelques peaux?

- Je naviguais vers une terre sacrée en quête d’une toison d’or, légère comme la plume et chaude comme la laine. Mais mes pas se sont égarés alors je me laisse tirer par les chevaux.

- Et comment les gens de chez toi te nomment? demanda-t-elle, retirant sa hache menaçante.

- Ferdinand de Cassadet, porteur du sang de la lignée première des Cressac, chevalier de la quête.

- C’est très prétentieux moqua-t-elle. Ferdinand premier chevalier du Cressac de la lignée des porteurs de quête.

- Ferdinand, juste Ferdinand, fit-il retroussant légèrement son nez. Et vous madame?

- Lhan Skallagrimsson, je suis du peuple de cette terre et je chasse les envahisseurs.

- Je ne suis pas un envahisseur madame, je cherche juste une fourrure unique.

- Une de nos légende parle d’un animal à la toison semblable à celui dont tu parlais : légère et chaude mais aussi solide que la pierre et que le feu ne peut brûler.

- De nouveaux et puissants aspects. Cet animal vivrait-il dans les montagnes?

- C’est ce que disent nos anciens lorsqu’ils évoquent les Grandes Chasses des pères de nos pères.

- Et se déplacerait-il le long de celles-ci dans un sens ou dans l’autre ?

- Tout animal qui est chassé le fait, regarda-t-elle un peu déroutée de la question.

- Et aurait-il deux jambes plus courtes que les deux autres ?

- Tu es un idiot étranger.

- Je ne me moque pas. C’est ainsi que l'affaire est transmise de l’autre côté de l’océan. Mais comment vos ancêtre chassaient-il un animal à la peau si dure?

- Il faut lui courir après et l’attraper à main nue. Les Grandes Chasses duraient plusieurs semaines, mais aucune n’a réussi à attraper l'animal.

- Courir plusieurs semaines? Voilà qui me sera compliqué, se lamenta-t-il jetant un regard à son ventre. Mais puisque je dois semble-t-il rester longtemps, savez-vous s’il fait meilleur à l’été? J’aimerai beaucoup faire pousser des arbres dans ce désert blanc.

- Ma mère me disait qu’il y avait des arbres qui recouvraient cette terres il y a très longtemps, rêva-t-elle un instant. Mais une année le froid fut si terrible qu’ils ont tous péris. Une autre de nos légendes parle d’un grand dragon blanc, qui vivrait maintenant dans les profondeurs des plus hautes montagnes. Si on le regarde dans les yeux, le coeur gèle. Son souffle transforme tout être vivant en glace. Lorsqu’il se réveillera, la guerre des Huits aura commencé. Malheureusement, la légende ne dit pas ce qu’est la guerre des Huits.

- Vos histoires me rappellent celles chantées par les Drekkar. Ne seriez-vous pas parente de ce peuple?

- Cela ne me dit rien, non. Mon nom me vient d’un ancien scalde de cette terre, Egill Skallagrimsson. Mais trouver des alliés dans ma chasse pourrait être utile qui sont ces Drekkar?

- Je les connais seulement par des rumeurs et des livres et effectivement, vos chasses sont dangereuses. Vous vous attaquez à de gros gibiers.

- Je ne crains personne. Tomber au combat est la plus belle mort qui soit.

- Tout à fait, mais je serai heureux de vous accompagner au devant des drekkar si vous allez les visiter. Enfin, si vous l’acceptez.

- Ta barbe est sympathique. Très bien, je te tiendrai au courant étranger.

- Me le promettez-vous?

- Tu as ma parole.

- Ah ! Je vous ai eu. Vous n’avez plus le droit de mourir.

- Cela te peinera? Tu me rencontre à l’instant.

- Maintenant oui, vous devez m’emmener chez les drekkar.

- Je tiendrai ma parole mais pour l’heure, j’ai repéré une proie non loin d’ici.

- Je vous laisse à votre hache madame.”

Il la regarda s’élancer du traîneau pour retomber dans la neige. Curieusement elle ne s’enfonça pas. Il s’attarda sur sa silhouette jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Un des chevaux tourna sa tête vers lui tout en avançant. Les huits yeux du canasson clignèrent. Ferdinand regarda encore la bouteille puis s’enfonça encore plus dans les fourrures et se laissa sombrer au milieu de la tempête.



Chapitre huit - Blanc-seing (partie 2)



Sa voix éclata : “- Alors, Mangin, toujours rien?” L’intendant interpellait un charpentier depuis l’entrée de l’atelier de tailleur. Au dessus de son armure, il portait ajouté à son habituelle pelisse grise brodée d’argent un long manteau surmonté de fourrures de renard. Les peaux qui coulaient depuis ses épaules et sa nuque étaient semblable à une duveteuse couche d’écailles rousses. Cet accoutrement prétentieux informait les quelques humains qui s’affairaient dans le village de sa relative importance. Il fronça les sourcils et chercha l'ombre. Le ciel bleu attaquait les couches de glaces que la nuit avait déposé. Après quelques jours, il avait apprit à se méfier du soleil de Septima. “- Non monsieur Bacquereau, rien de ce côté”. Il enfonça sa tête dans une toque en peau de belette et tenta de mettre les mains dans ses poches. Les moufles doublées étaient trop épaisses et après un bref acharnement, il se résigna. Il déganta sa main droite et parvint à fourrer ses doigts boudinés dans sa poche. Farfouillant un peu, il en ressorti victorieusement une poire qu’il croqua avidement. Elle était fraîche et il glapit quand le jus coulai le long de son bras sous sa manche. Soupirant, il tenta d’atteindre son autre poche de la main libre. Mais la moufle qu’il avait gardé l’empêchait d’atteindre le mouchoir de soie qu’il avait ramené d’un voyage à l'Ouest de Terra Media. Fâché, il pressa de ses mains pour absorber la désagréable impression avec la doublure du manteau. Satisfait, il entreprit de finir son fruit tout en se penchant pour éviter une autre coulée.


Un tintement de clochette virevolta accompagné du tassement des sabots battant la neige. L’attelage qui glissait sur la neige portait un unique voyageur. Il arriva à une vitesse paresseuse en contournant la caserne. Arrivé à bonne distance, l’homme tira les brides et le traineau s'arrêta. Satisfait, l'arrivant entreprit de se sortir des couches de peaux qu’il avait entassées pour se protéger du froid. Rejetant la dernière d’un geste vindicatif il se redressa. D’une belle taille aux larges épaules il adressa à l’intendant un large sourire sous sa grande barbe. L’intendant répondit par une courbette presqu’obséquieuse :

“- Seigneur Cassadet, vous ne devriez pas partir seul. Avec ces sauvages qui rôdent les trajets ne sont plus sûrs.

- Accompagne-moi au château, méprisa Ferdinand de Cassadet. Tu sais pourtant que mes voyages assurent nos bonnes relations avec le voisinage et permettent à ta compagnie d’élargir ses terres de chasse.

- Mais seigneur! S’il vous arrivait malheur, votre soeur Blanche de Cassadet me tiendrait responsable, protesta l'intendant en trottinant .

- Tu es trop craintif pour attendre son jugement. Tu auras déjà disparu. Mais je te rassure Bacquereau, les natifs ne gêneront pas tes employés, notre voisin m’a informé que leur meneuse avait été tuée, dit-il avec une pointe de tristesse dans la voix. Bah! Tout cela ne gène en rien notre prospérité. Parle moi de la mission que je t’ai confiée."

Il passèrent la porte de bois et pénétrèrent la grande salle de bois qui prenait sur ces terres le nom de château. Bâtie dans la longueur elle était chauffée par quatre foyers rectangulaire et son toit de paille et de chaux répendait une douce odeur. Bacquereau qui avait retiré ses moufles sortit le tissu et s'épongea le front. Tenter de tenir le pas des Cassadet le mettait inévitablement en nage. Ferdinand se rendit au fond de la pièce. Il s'assit sur le siège de bois sculpté qui marquait son autorité et remarqua que certains des nouveaux domestiques étaient à demi-nus. Il se prêta un instant à observer quelques jeunes filles dévêtues en tentant de se rappeler sa rencontre avec la Skallagrimsson puis secoua la tête.

“- Alors Bacquereau, la traque?

- Nos hommes s’y attèlent mais la bête est introuvable.

- Persistez et doublez vos efforts Bacquereau. Si vous ne pouvez m’être utile, je demanderai à ma soeur et suzeraine de vous remplacer.

- Je les triplerai! dit l’intendant, accompagnant la déclaration d’une courbette. J'ai fait recruter de nouveaux hommes avec les ventes de la compagnie nous pourrons...”

Les pensées de Ferdinand s'échappèrent. Une jeune native rousse avait attiré son regard et il luttait intérieurement contre ses propres ambitions. Elle le regarda entre surprise et méchanceté et les yeux du chevalier filèrent vers l’âtre fumant. Tous ces voyages lui pesaient, les quêtes et la solitude. Il serra les dents et sa gorge le tira. Il déglutit. Il sentait une présence obscure remonter de l’arrière du son crâne. Une force irrépressible, violente et agressive. Elle se dissipa quand Bacquereau intervînt.

“- Allez-vous bien seigneur?

- Fais vider les lieux, répondit-il avec brièvement dans un revers de main violent. Que tous aillent dormir dans les autres maisons du village. Je dois être seul cette nuit.

- Même la jeune fille? susurra l’intendant se fendant d’un clin d’oeil obscène. Je vous ai vu la fixer, elle peut rester si vous le désirez.

- Approche, le regarda-t-il souriant sous sa barbe. Ton insistance à penser pour les autres doit être remerciée.”

L’intendant se penchait confiant lorsque la main gantée de cuir du chevalier de la quête se referma sur sa gorge. Un voile sombre barrait le front de Ferdinand et ses yeux se plissèrent. Bien que d’apparence solide, peu de monde pouvait soupçonner chez Ferdinand la force de cette poigne sans l’avoir éprouvée. Bacquereau fut saisit de stupeur et s’immobilisa. Son seigneur porta la main à sa ceinture et se rappelant avoir perdu sa dague, tira celle de l’intendant dont les yeux étaient devenus globuleux de terreur. Ferdinand posa la lame sur la joue de Bacquereau et l’enfonça doucement dans la chair. Il s’arrêta en sentant le choc de la pression contre les dents. Un flot de sang jaillit alors qu'il remontait tranquillement sa main vers la bouche. Le souffle coupé et immobilisé par la poigne, le regard de l’intendant hurlait pour lui mais Ferdinand le fixait sans émotions. Il s’arrêta quelques centimètre avant la lèvre supérieure et confia sereinement à la figure bleutée et dégoulinante :

“- Ne crie pas ou ta joue va s’arracher. Je vais te libérer et tu iras voir la garde. Ils cautériseront ta plaie. Puis tu te reposeras. Diriger les chasses t’as grandement fatigué. Tu as oublié où est ta place.”

Ferdinand tira le tissu de soie de la poche du manteau et lui pressa tendrement la joue.

“- Je prendrai la direction des prochaines battues, continua-t-il à haute voix pour que tous l’entendent. Maintenant que nous sommes tous fatigués, je vais vous demander de quitter les lieux, rapidement et dans le calme. Que chacun mette un terme à sa tâche puis qu’ils sorte.”

L’étreinte se desserra et Bacquereau sortit compressant sa joue. Tous vidèrent calmement les lieux. La jeune fille sortit parmi les derniers. Tout en jouant avec la dague de l’intendant, Ferdinand fixa son dos et ses jambes avec insistance jusqu’à ne plus la voir. Il se surprit à la haïr avec insistance. Il n'était pas en colère. Il était au delà. Il était seul. Et à cause de cette stupide coutume des Cressac il le resterait. Il frappa de son poing dégarni un des piliers massifs de la salle et grogna. Sa main lui faisait mal et murmura : "Si seulement ma soeur et sa fille pouvaient disparaitre".


Cette histoire s'est produite peu avant les faits du Cressac. Depuis, Blanche est morte et Constance est devenu seigneur des Cressac.



Chapitre huit - Blanc-seing (partie 3)



Crissements dans la neige. Le sang bout. La neige s’élève à chaque battement. Deux chiens hurlent. Il saute dessus un roc. L’étendue blanche offre quelques couverts. Une crevasse. Il s’y cache. Le vent souffle dans l’autre direction. Avec un peu de chance. Les aboiements se rapprochent. Des voix incompréhensibles suivent. On crit. On aboie des ordres. Lui ne comprend pas. Il se glisse dans la neige. Ils sont à dix pas. Il se faufile silencieusement. Trois autres chiens surgissent à droite. Ils ont sa trace. Il accélère. Ils répandent la neige. Aboiements. Les chiens le repèrent. Huit pas. Cinq pas. Trois pas.


Il saute hors de son trou. Une mâchoire se ferme sur le vide. Une seconde aussi. La troisième prend la jugulaire. Les dents se brisent. Couinement de douleur. Le sang coule. Celui-là ne mordra plus et il s’échappe. Quatre le poursuivent. Une corde se détend. Sifflement. Il sent le choc à la poitrine. La flèche rebondit. Il détale.


La neige s’élève. Une cloche tinte derrière lui. Trois, non, quatre chevaux. Il accélère. L’étendue est blanche. Sans abris. L’attelage glisse dans un sifflement effroyable. Son poux s’accélère. Un deuxième sur sa gauche. Un javelot se fiche à deux pas. Un second. Des cris et des aboiements. Un homme crie plus fort que tous. Il dégage une odeur de sueur et de sel. Un autre javelot. Le métal se tord. Jurons parmis les poursuivants. Il les distance. Espoir. La glace craque. Il glisse. Les paroies sont hautes. Il hurle. Il lève la tête. Des sons voraces l’assaillent de toutes parts. On se répand vers lui. Parmi les prédateurs, l’homme à la forte voix domine la crevasse.


Ils frappent chaque partie de sa peau, longuement, inlassablement, à la manière d’un rituel. Il a mal. Rien ne le perce. Mais il a mal. Les bâtons se rompent. L’impuissance autours de lui. L’homme ordonne qu’on l’attache. Des crocs bavants et des sourires effilés. Il se débat. Ses pattes sont maintenant liées. Des rugissements de victoire. Il a mal. Il se lasse. Il ne force plus. Désormais il patiente. On l’emporte et déjà il songe à la liberté.


***


Le bateau s’éloignait du port de Vladivostok portés par les courants. Trois mouettes passèrent et deux marins fixaient la lourde caisse dans la cale. Ferdinand les exhortait à la prudence et sourit en départageant légendes et réalité à propos de l’animal qu’il avait chassé. Finalement, toutes ces histoires de grandes battues et de chasses impossible s’étaient inclinées devant les pouvoirs de la pierre de Lac.


Ferdinand remonta sur le ponton. N’ayant pas trouvé le moyen de passer les défenses de l’animal, il avait fait le choix d’envoyer l’animal tout entier à Varonn Fold. Le chevalier de la quête inspira l’air marin de Septima. Il était heureux de bientôt achever une si longue quête. Malgré son bonheur, une ombre passa. Au large il distingua une courte bande de terre, il se promit d’y faire planter des graines. Un jour les arbres pousseront à nouveau dans le Grand Nord.


Dans les entrailles du navire, la fourrure de l’animal scintilla, se couvrant légèrement de glace. Un grondement sourd perça depuis les profondeurs et un craquement lointain retentit. Ferdinand haussa les épaules. La glace devait fondre.


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