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Photo du rédacteurCASADO Vincent

Gens du Cressac

Poire et sel


Monsieur Bacquereau croqua avidement la poire. Son empressement à goûter ces plaisirs trahissait sa situation confortable. Le jus dégoulina le long de sa joue et tacha son pourpoint. Il loucha et tenta d’essuyer le tissu importé à grands frais du royaume de Goldor. Mais ses doigts boudinés ne purent qu’étaler le liquide qui imprégnait maintenant le vêtement. Mécontent il reprit sa marche remontant la digue qui protégeait le mouillage de la flotte commerciale du Cressac.

Il suivait une femme au front altier sous une tresse blonde auréolée des mèches que l’air marin faisait voler. Cherchant à durcir son visage agréable, elle portait une chemise de lin noir brodé d’argent coupée strictement de cuir qui recouvrait son armure jusqu’à mi-cuisse. Cette coutume vestimentaire adoucissait une apparence guerrière sans entraver le porteur. Accompagnant les battement de son épée et les cliquetis de la maille, les talons de ses bottes choquaient la pierre à un rythme soutenu que l’intendant s'essoufflait à suivre. Peinant sous sa propre armure, ce dernier gardait tout de même une apparence fière. Arrivée au bout de la jetée, aux pieds du phare, elle scruta l’horizon. Il posa ses mains sur ses flancs et tenta de garder une attitude détendue et noble devant la seigneur des Cressac. Il porta à nouveau le fruit à sa bouche.

Elle plissa des yeux en direction de la mer mais ne distingua qu’un petit navire de pêches que poussait le vent. Un vague se fracassa sur la digue. Monsieur Bacquereau fronça les sourcils. Le Rancunier qui devait ramener le vin de Sainte-Horste ne paraissait toujours pas. Le retard ne l’ennuyait pas. En tant qu’intendant, il savait négocier les imprévus de la compagnie des Dix associés. Aux premiers signes de raréfaction d’un produit, il en augmentait le prix et amortissait les déficits en attendant le ravitaillement. A cette pensée, il croqua d’aise dans le fruit. Ce qui le contrariait en revanche était la longue file d’habitants qui prenaient quotidiennement des nouvelles leurs proches. Blanche de Cassadet avait ordonné qu’en cas de naufrage avéré, la compagnie devrait assurer la subsistance des enfants des disparus pendant une année. Dès lors il redoutait l'annonce de la perte de n’importe quel navire. D’autant que la Compagnie des Cressac ne se satisfaisait plus des monopoles vers Goldor et Tropica et disputait dans l’ombre l’accès à Terra Media.

Une autre vague se fracassa sur le muret alors que les fanions ornés du lion noir vibraient sous le vent. Sur la berge opposée, les marins pêcheurs hissaient les cages de poisson frais qui étaient emmenées directement vers la criée. Leurs manières sales écoeuraient Monsieur Bacquereau mais il savait leur reconnaître une redoutable efficacité pour à écouler l’alcool qu’il importait. Il écarta les lèvres pour sourire et quelques gouttes d’écume salée s’y engoufrèrent. Le goût de poire devint infect. Il saliva cherchant à faire disparaître le sel. Mais avala de travers. S’étouffant, il se se prit à tousser. La face empourprée, il cracha.

Blanche le toisa avec mépris avant de désigner un point sur l’horizon qu'elle visait déjà de sa lunette. Il sortit sa longue-vue dans laquelle il espérait distinguer les trois voiles caractéristiques de sa compagnie. Mais quatre se découpèrent à travers le verre. Ses concurrents amenaient d'Armor une des plus belles couronnes du monde connu, estimée nécessaire pour l’élévation de sa suzeraine en Baronne et lui attendait toujours le vin. Repartant sans un mot, Blanche de Cassadet le laissa fulminant. De colère, il jeta la poire dans les flots puis s'empressa de la rejoindre.

Après tout, la compagnie avait encore l'Argos. Le navire était léger mais couvrait de grande distances rapidement. Jusqu'à présent il était sans destination attitrée mais au vu de la situation, monsieur Bacquereau se promit qu'il s'attacherait à lui en trouver une le plus rapidement possible.


Bois blanc


Le roc emporta un pan du mur et brisa un des pilier qui soutenait la structure. Le château de bois était éventré de moitié et ses entrailles ruisselaient. Le seigneur Argyll Thoéodore apparu dans cette plaie béante.

Elle se tourna vers monsieur Bacquereau mais il lui était impossible de savoir si elle était satisfaite. Elle se contenta d’esquisser un sourire. Le plancher éclatait.

Du bouleau importé des quatre vents par les compagnies de commerce du Cressac.



Le serpent



L’ombre tombe et le silence s'empresse sur des cimes sombres. Une porte massive s'ouvre qui susurre un son tendre de solitude. Blanche sort de son sommeil. Sa toison de femme suinte sur le sol. Hors de ses pensées, elle saisit son pommeau acier affalé sur cette façade de la salle et s’en ceint. On ouvre les orifices vitraux. L’astre naissant transperce cette matinée. Ses yeux plissés surgissent vers l'Est. L’océan stagne entre les chaloupes et sous le ciel une piste sablonneuse s’élance depuis la cité. Dessus ce sentier, des soldats se suivent. Un semblable sang qui bat cent tempes, bat la succession des pas sous la teinte du Cressac. Elle sait ce qui les lance vers une saine euphorie de saccage. Ses instructions sont claires.

Les sabots crissent sur le sable quand six oiseaux semblant cyclopes passent sur l’azur. Un sergent plus superstitieux que le reste de la file s’insurge et s'exclame : “Ces piafs sont de tristes signes. Sommes nous supposés avancer sous ces funestes auspices?” Son supérieur sourit et le siffle : “Hitch de la gens Mercier! Les septs sont suffisant pour que tu sois rassuré. Sauf si tu as la frousse des mésanges, reste à ta place”. A sa suite, tous se gaussent d’Hitch. Si bien que ce persifleur se tait et s’en retourne à son poste.

Trois heures s’écoulent où la soldatesque perce des sous-bois, serre des passages et traverse des ravins sans qu’aucun autre incident ne survienne. Harassée, elle est aperçue aux lisières Est du Cressac. Le Mercier encore chuchote : " C’est une sale besogne de massacrer des civils." Refusant de laisser saper sa puissance, le supérieur assène un soufflet sur la face du séditieux : “Les circonstances sursoient à la bastonnade que tu nécessite. Tu la recevras à la caserne si tu ne manifeste pas le zèle qu’exige la situation. A ceux qui blessent le sang de la Baronne, cela sera notre réponse”. Le sergent sidéré de la gifle s’écrase. Tous suivent si bien que survient la file d’écu. S’étendant en autant d’écailles argents elle enflamme le village.

Chacun s’égaie la chasse commence.


Blanche


Depuis le début de l'après-midi, la pluie rigolait sur les toits du Cressac. La symphonie d’ardoise et de bois répandait une odeur apaisante. Au loin le repos des vents chantait les succès des marins que les navires regorgeant ramenaient vers le port. Le ressac léchait les murs éclatants de la forteresse déposant sa crasse d’algues vertes à ses pieds. Le sel et la sueur avaient fait ce lieu.

Une alouette dériva et se posa dans l'alcôve surmontant l’entrée de la Grande Salle. Sous le porche passait une jeune fille rousse.Vetue d'argent et de gueule, elle arborait deux lions d'azur. Elle ne remarqua pas l’oiseau et pénétra le lieu obscur. De longues toiles noires coulaient sur plusieurs mètres de hauteur pour voiler les fenêtres oblitérant la lumière et détournant la vue vers le centre de la pièce. Une vingtaine de personne étaient présentes et leurs conversations bruissaient, partagées entre douleur et colère, raison et démesure. Cette assemblée encerclaient un solide socle de chêne sculpté. Là gisait Blanche de Cassadet. Sa longue chevelure blonde tressée en couronne ranimait un sourire figé. Une fourrure d'ours la couvrait des jambes à la poitrines. Pour cacher ses plaies recousues, elle était habillée d'une tunqiue d'argent bordée de saphir. Ses mains étaient jointes le pommeau à tête de lion de son épée brisée posé sur son coeur.

La jeune fille s’agenouilla devant le corps, le menton collé à la poitrine et récita pour elle même une litanie. Parmi les nobles assemblés, on se questionnait sur la nature de cette interruption qui prétendait porter les armoiries de la lignée de la Première. L'un d'eux, visiblement fâché posa une main sur l'épaule recueillie pour la forcer à se relever quand un vieillard fendant la foule écarta l’intrépide le poussant légèrement. La robe de bure à carreaux raclait et soulevait la poussière donnant au vieil homme une apparence mystique. Le noble reconnu Ignace Monfrey, directeur des études lignagières du Fray et se ravisa. Le membre du Haut-Conseil de la bibliothèque approcha la jeune fille et la pria de le suivre. Elle inclina respectueusement la tête, se levant. Il la mena au siège sculpté couvert de peaux qui dominait la salle puis tendit une paume aux doigts écartés. Les bruissements de l’assemblée s’évanouirent.

“- Vous tous ici présent, soyez témoins par mes paroles. Contemplez celle qui fut par l’honneur et la loyauté, guidée jusqu’à son dernier acte. Témoignez que Blanche de Cassadet est tombée sur l’Ile de la princesse Black Dragon , veillant sur les terres de la suzeraine à qui elle avait juré fidélité. Tombée pour les défendre comme le font les bons vassaux. Tombée après la déclaration des hostilités, elle s’est jetée sur l’adversaire au premières rumeurs du combat. Tombée au plus profond de la mêlée quand elle défiait la chevalerie ennemie. Mais les lames s’entrechoquaient en autant de griffes et de crocs. Elle est tombée en accomplissant son devoir, par fidélité et par honneur.”

Des points et des mâchoires se serraient alors que quelques murmures et jurons jaillissent du fond de la salle. Un brouhaha sonore perçait et le vieillard reprit :

“- Mais le sang de la lignée de la Première n’est pas éteint. Le Cressac demandait une autre souveraine. Aussi, moi, Ignace Monfrey ait fait chercher une porteuse de sang. La primo-geniture féminine désignait Anne de Cassadet, née soeur de Blanche, mais le jugement du 2 mai l’avait exclue de la lignée. Sur la parole de Ferdinand de Cassadet, voici que se présente à vous Constance, du sang de la lignée Première. Ainsi, conformément à la coutume, se présente à vous votre légitime suzeraine à laquelle vous jurerez fidélité quand nous aurons veillé les morts.”

On chuchota. On remarqua l'étrange similitude des traits du visage. L’intrépide vexé essaya une pique sur la couleur des cheveux mais les regards qui lui répondirent le déroutèrent. Constance embrassa la salle du regard et, sur l’invitation d’Ignace, intervint :

“- Moi, Constance de Cassadet, dernière de la lignée de la Première à vous tous assemblés ici, offre ma protection. Nombreux sont parmi vous qui doutent de la tempête. J’entends comme vous les vagues frapper les rocs. Aussi prenons quelques temps pour nous apaiser et faire fuir la crainte. La baronne Blanche de Cassadet a agit avec honneur et célérité. Je mesure en posant mon regard sur sa jeunesse maintenant éternelle l’immensité du pouvoir et des devoirs qui me seront conférés.

En vertu de notre coutume, je remercie les femmes et les hommes, qui réagissant immédiatement à l’annonce du destin de Blanche de Cassadet, ont témoigné leurs soutiens en paroles et en actes tant publics qu’espistolaires. Ils ont ainsi démontré un amour et un attachement porté à notre maison que nous n'oublierons pas. Car leur colère les à menés à une vengeance débordante de courroux. Il est touchant de voir que de si beaux amours aient pu dépasser les obligations d’Etat.

Mais mener et diriger des femmes et des hommes, en temps de paix comme dans la tourmente demandera d’abord la plus juste réparation pour le destin de Blanche de Cassadet. Mais à qui exiger réparation? A l’ennemi? L’ennemi est un ennemi et a agit comme tel. La lame qui porta le deuil sur nos terres n’a pas été plantée dans un dos par un assassin. Elle l’a été sur un champs de bataille. Devons nous exiger réparation à la princesse qui a menée à cet situation? Le Cressac est encore vassal de Black Dragon et ne peut s’élever face à son suzerain sans ternir son propre honneur. Alors, à qui exiger réparation? A vous tous assemblés, voilà ma réponse : nous sommes au premier rang des responsables de la situation. Pas parce que nous avons accompli notre devoir. Mais parce que nous n’avons pas eu la force de le mener à bien. Alors, il nous faudra pousser chacun d’entre vous vers le meilleur de ce qu’il peut devenir pour que semblable destin n’advienne plus aux suzeraines des Cressac.

Sachez que dans le soucis de donner une issue finale à ce conflit et éviter à nos vassaux et nos fidèles une longue et douloureuse agonie dans un conflit larvé, le comte Marceau de Tour et la maison Cassadet ont accepté la proposition du royaume d’Heidel : un duel à mort entre le meilleur champion des deux factions. L’enjeu de celui-ci sera l’Ile de Black Dragon. A l’issue de l’ordalie, soit le domaine sera placé sous l’égide du Comte Marceau de Tours, soit il sera sous celle du Duc Claudio de CastellBlanc. Ainsi, par le jugement divin, notre honneur de vassal sera sauf et le conflit finit. Afin de rendre aux dieux leurs part de notre bonne fortune, nous prêtons ici serment de respecter l’issue de ce duel. Demain portera d’autres nouvelles, mais pour l’heure veillons nos morts.”

L’assemblée se tut et s’agenouilla vers le corps de Blanche. Après plusieurs minutes, Constance entama de sa voix cristalline l’ode funèbre des Cressac. Les voix éclaboussaient lentement les murs. Une force puissante et irrépressible s’élevait maintenant de l’assemblée. Un lent frisson comme une marée montante. Constance observant ceux qui l'entouraient voyait maintenant quelles vagues la porteraient.


De Matthias Bacquereau à Gérald Stevenson


Cher Gérald,


Tu trouveras ci-joint les pages de compte de la compagnie. Nous faisons enfin du bénéfice. Les manteaux particulièrement. N’oubliez pas de rappeler à sa seigneurie Constance de Cassadet notre rôle dans la quête de son oncle Ferdinand de Cassadet par l’aide en hommes et matériels fournis.

Les sauvages ne semblent plus un problème et les murailles que nous édifions devraient nous protéger pendant quelques mois.

Cependant l'île présente quelques déficiences en été. Des grondements de plus en plus fréquent accompagnés de secousses précèdent la formation d’immenses crevaces dans les glaces. Je ne sais pas ce qu’il se passe mais à long terme, cela ne sera pas bon pour les affaires.

Il nous faudra surement un prêtre pour calmer nos travailleurs et associés.


Mes amitiés au bureau.


Bacquereau


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