Il existe une idée fort répendue concernant les gnomes de Missa'ha. Ceux-ci seraient en tout point semblables aux nains de Jahal'Hardin. L'observateur suivant son ouïe, reconnaîtra les doux tintements des grelots accrochés aux pointes de leurs couvre-chefs et les jugera identiques. Au risque de décevoir les plus fervents adeptes de cette théorie, non seulement les gnomes de Missa'ha portent leurs chapeaux de l'envers vers l'avant en liseré apparent mais surtout les nains de Jahal'Hardin ont leur bonnets droits en liserés au revers. Quand au bruit des grelots, il diffère d'un demi-ton selon que le gnome avance ou que le nain recule. Et s'ils arborent effectivement les mêmes traits, pilosités, musculatures et clanifications familliales qu'ils partagent parfois, à la mesure de leurs pas, la simple vue de leurs couvre-chefs suffit à rappeler leurs appartenances respectives. Aussi lorsqu'ils sont confondus, s'empourprent-ils les uns et les autres dans de terribles rages.
Gareh était un nain de Jahal'Hardin. Comme toujours lorsqu'il se rendait pour la foire à la poule qui avait lieu toutes les sixièmes lunes de printemps - à moins que ce ne fut la troisième lune d'août- il était d'humeur maussade. Il avait avec lui six de ses poules de Gallée, incessamment tournantes, noires et roses aux houppettes panachées de violet.
Gareh, en bon éleveur descendant d'une lignée d'éleveur se vantait de ses superbes spécimens. Il était certains de vendre ses gargantuesques gallinacées. D'abord parce que le bourgeois qui se salissait à la foire en appréciait les couleurs dans son intérieur grisonnant. Et surtout car elles pouvaient engloutir deux seaux de graines à la matinée, et deux au soir. Elles s'exhibaient subtilement en société comme on exhibe les tableaux de Talerme ou les soiries d'Enrient. "- Oh mais vous avez une galléenne. - Je l'ai eu chez un petit éleveur du coin, très besogneux et consciencieux". Quel effet dans les soirées !
Gareh espérait tirer deux chromes la livre de ses bêtes. Avec lui son neuveu venaient Ösc et sa nièce Ûrlâ en secour et en devoir à chaque saison. Le premier se tenait pour dit qu'il hériterait du poulailler par le travail et l'assistance acharné qu'il démontrait à son oncle. La seconde disputait l'héritage dans son fort intérieur pour de similaires raisons, mais feignait l'enthousiasme pour le voyage et le commerce. Gareh savait donc ses affaires solides aux temps futurs qu'elles fussent attribuées à l'une ou à l'un.
Alors que tous trois arrivaient en vue du village, ils furent dépassés par un attelage de trois gros chats d'Erkohse roux à poils long. Les pattes soupoudrées de terre, ils se dandinaient fièrement tirant une lourde charette. Le félinié qui marchait à leur côté tira son chapeau incliné à l'adresse de Gareh moitié par politesse, moitié par avertissement de son passage. Gareh fit tinter son grelot en retour. Ösc cracha dans l'ombre de l'inconnu. Gareh étouffa en voyant le chargement qui le dépassait : des galléennes, de belle taille aux couleurs chatoyantes qu'il jalousa immédiatement. Ûrlâ sauta à son côté :
"- As-tu vu ?
- Oui, maugréa-t-il.
- Elles sont magnifiques !
- Non...
- Mon oncle, tu devrais en acheter deux pour enrichir notre poulailler.
- Et comment mangerons-nous ? Nous n'aurons pas assez de chromes pour ces poules et pour le grain de la saison, même en doublant notre prix.
- Devons-nous vraiment les acheter, souffla Ösc malicieux ?"
Tous trois échangèrent un regard et Gareh claque deux fois la langue. Son teckel brun remua les oreilles avant de prendre une allure princière en traversant le pont.
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